02/02/2012

Les écoutes, une peur française

Les récentes déclarations de politiques s’inquiétant de voir leurs communications surveillées mettent en lumière une certaine défiance, justifiée ou non, envers les services de renseignement.

La Vie des autres (2006)

29/12/2011

Le renseignement dans la cyberdéfense

Les réflexions consacrées au cyberespace sont en plein essor sur AGS, à travers plusieurs billets qui ont permis de défricher des concepts tels que le milieu cyber, la cyber-sécurité, la cyber-défense ou encore la cyberdissuasion. Si le cyberespace intéresse avant tout les spécialistes de la SSI, il présente également plusieurs enjeux pour les services de renseignement, qui doivent trouver leur place dans le cadre d’une cyberdéfense qui se dessine.



Entre missions anciennes et nouvelles missions

Le monde du renseignement s’est introduit précocement dans le cyberespace afin de poursuivre ses missions traditionnelles de collecte d’informations, centrées sur les humains et leurs interactions. L’exploitation des transmissions comme sources de renseignement est pratiquée de longue date par les services, des conversations orales aux correspondances papier, des écoutes téléphoniques aux interceptions de signaux. Le cyberespace est devenu un nouveau milieu pour la captation d’informations et l’exploitation de renseignements dits « d’origine technique », mais également un vecteur pour la conduite d’opérations diverses : brouillage, falsification ou destruction de données, opérations psychologiques, déstabilisation…


20/12/2011

Le Ministre, les drones et la Commission Défense

Le projet de drone MALE, visant notamment au remplacement du drone SIDM (Harfang) et proposé par le ministre de la Défense Gérard Longuet, s'est vu vivement contesté par la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des forces armées du Sénat.

Heron TP

L'objectif du programme est d'épauler, voire de remplacer le drone Harfang, issu du programme SIDM initié en 2003. Le Harfang est un drone produit par IAI sous la dénomination Heron Eagle 1, modifié par EADS aux standards français dans le cadre du programme SIDM. Cet appareil avait été livré tardivement à la France, avant un déploiement sur le théâtre afghan en 2009. Il avait déjà été souligné que le Harfang ne pouvait pas emporter d'armement, n'évoluerait pas à plus de 7 000m d'altitude et que la version Eagle 1 sélectionnée ne lui conférait qu'un moteur à piston assez peu véloce.

Le nouveau programme de drone MALE vise donc à doter les forces françaises d'un drone aux capacités supérieures à celles du Harfang, dans un contexte opérationnel tendu, entre vieillissement des matériels et intensité des missions de reconnaissance en OPEX. Les options étudiées par le ministère de la Défense se centraient donc logiquement sur un drone MALE de type "lourd", capable d'emporter une charge utile (capteurs, armements) plus importante et d'évoluer à une altitude supérieure (~10 000m), tout en conservant une autonomie nominale d'au moins 12 heures.

L'option privilégiée par le ministre consiste en l'achat par la France de drones israéliens Heron TP dans le cadre d'un partenariat entre Dassault et IAI, alors que la Commission a pour sa part fait savoir qu'elle favorisait une option américaine par l'achat de drones MQ-9 Reaper à General Atomics. Sur le papier, les deux appareils avancent des spécifications comparables, avec une altitude de vol maximale supérieure à 10 000m, une capacité d'emport permettant l'emploi de capteurs optroniques et de missiles guidés, avec une autonomie en vol supérieure à celle du Harfang. Les deux constructeurs présentent des caractéristiques variables, en matière de charge utile maximum et surtout d'autonomie, deux paramètres qui varient fortement en fonction des configurations sélectionnées. Il apparaît donc difficile de comparer les performances du Reaper et du Heron TP à partir de seuls documents commerciaux.

MQ-9 Reaper

Au-delà des chiffres, le ministre de la Défense avance l'agument d'une plus grande interopérabilité des liaisons entre le Heron TP et les autres systèmes français, ainsi que l'expérience qu'apporterait un tel programme à Dassault en matière de drones. La Commission affirme pour sa part que la France a déjà connu une expérience difficile avec IAI sur le programme Harfang et que le Reaper disposerait d'un aguerrissement et de qualités techniques supérieures, voire "exceptionnelles". (cf vidéo Sénat 29/11)

Afin de pousser l'application de sa proposition, la Commission défense a fait voter un amendement visant à retirer 109 millions d'euros au programme, le réduisant à un montant global de 208 millions d'Euros, une somme permettant l'achat sur étagère de 7 drones Reaper et 2 stations au sol à General Atomics, mais insuffisante pour permettre la réalisation du programme conjoint entre IAI et Dassault, préconisé par le Ministre. Les 109 millions d'euros seraient redistribués pour 29 millions dans un contrat de maintenance (MCO) du drone Harfang et pour 80 millions dans un Plan d'Études Amont (PEA) à destination de Dassault pour un drone de "troisième génération" dans le cadre d'un partenariat franco-britannique. Début décembre, le ministre de la Défense Gérard Longuet a pour sa part réitéré sa volonté de maintenir le programme Heron TP, contre l'avis de la Commission.

Ce bras de fer entre le ministre et la Commission recèle plusieurs éléments intéressants, le premier étant l'opposition quasi-unanime de la Commission de la Défense à une décision du ministre de la Défense. Cette commission qui dispose de pouvoirs d'enquête et de décision limités s'est rarement opposée à un ministre, privilégiant le plus souvent la concertation et le consensus. Il est toutefois difficile de distinguer si les arguments présentés de part et d'autres font l'objet d'une réelle objectivité technique concernant les qualités des appareils retenus. D'autre part, l'enveloppe de 80 millions d'euros réservée par la Commission à Dassault vise clairement à agir comme une compensation et à pousser le programme de drone Telemos lancé avec BAE Systems et dont on ne sait encore que peu de choses. Si la France et le Royaume-Uni se sont accordés en novembre 2010 sur un projet de drone MALE, il ne s'agit que d'une étude et aucune maîtrise d'œuvre n'a été confiée officiellement à Dassault-BAE pour son développement. Enfin, on peut observer que les sénateurs considèrent la capacité des drones à emporter de l'armement comme un pré-requis technique, ce qui leur apparaît comme évident en 2011 dans le contexte des récentes opérations extérieures (Afghanistan, Libye, Côte d'Ivoire), mais qui l'était moins en 2003 lorsque le programme SIDM (MALE) fut lancé.

Sur ce sujet: Actu Défense, Le Point, Challenges, Le Monde (Tribune de la Commission du 9 décembre)

17/11/2011

Operation Ghost Stories, 10 ans de contre-espionnage

Le FBI a récemment rendu public de nouveaux détails sur l’investigation qui a mené à l’arrestation de 10 agents des services de renseignement russes en 2010. Cette enquête a été menée par la division contre-espionnage (Counterintelligence Division) rattachée à la National Security Branch du FBI, service qui a en charge les questions de sûreté nationale et la collecte du renseignement.



Pendant plus de dix ans, les équipes du FBI ont suivi plusieurs suspects d’origine russe, qui utilisaient pour la plupart de fausses identités américaines et canadiennes. Cette dizaine d’agents liés au SVR, le service de renseignement extérieur russe, occupaient de véritables emplois dans les secteurs de la finance, du commerce et de l’immobilier, afin de renforcer leurs couvertures.

12/10/2011

AGS: Stratégies dans le cyberespace

Après un cahier consacré aux "guerres low-cost", les membres d'Alliance Géostratégique se sont intéressés à la question des stratégies dans l'espace cybernétique, à travers une quinzaine d'articles traitant du cyberespace dans plusieurs de ses dimensions.




Opérations, frontières, géopolitique numérique, cyberguerre, droit, finance et armes électromagnétiques sont parmi les thèmes explorés par l'équipe d'AGS. Ce nouveau cahier d'Alliance Géostratégique donne au lecteur des clés pour comprendre la cyberstratégie des Etats-Unis, la cyberguerre à la russe ou encore la bataille cryptographique Enigma au cours de la seconde guerre mondiale. D'autres concepts récents sont également abordés dans le détail, notamment le concept de dissuasion dans le cyberespace, ainsi que d'autres principes stratégiques liés à ce nouveau "milieu".

Stratégies dans le cyberespace
est disponible directement sur le site des éditions L'Esprit du Livre.

Résumés des articles à consulter sur le site Alliance Géostratégique.

15/09/2011

2012 et les enjeux du renseignement

À quelques mois de l’élection présidentielle et des élections législatives, le thème du renseignement n’est pas particulièrement mis en avant, ni par les médias, ni par les différents candidats. Les futurs élus auront pourtant la charge d’orienter et de contrôler les services, unités et administrations qui se consacrent au renseignement. Si le renseignement fait rarement l’objet d’un débat public, il n’est pourtant pas un domaine de total consensus et fait face à de véritables enjeux, tant sur un plan interne qu’au sein de la société française.



Une offre politique limitée

À huit mois des élections, un citoyen qui chercherait à connaître les positions des différents partis sur les questions de renseignement éprouverait sans doute des difficultés à y voir clair, tant les propositions formulées par les candidats en la matière sont peu nombreuses. Cette absence de postures claires de la part des partis pourrait s’expliquer de différentes façons: des programmes encore en gestation, le sentiment d’un manque d’intérêt du public sur des questions jugées « techniques » ou encore une forme d’humilité des politiques face à un domaine réservé à des « experts ». En se concentrant sur les programmes officiels et les derniers travaux des parlementaires, il est toutefois possible de distinguer certaines orientations de l’UMP et du PS, malgré le silence relatif de la scène politique sur ces questions.

Le Parti Socialiste s’est exprimé officiellement sur la question du renseignement dans son Projet 2012, précisément sur la question de la lutte contre le terrorisme, déclarant la nécessité de défendre « le développement d’un dispositif moderne de protection du territoire, y compris par des moyens de renseignement humain et technique permettant, dans le respect du droit, la détection précoce des menaces émergentes » . Cette prise de position liminaire ne semble toutefois pas constituer l’unique réflexion du PS sur les questions de renseignement, comme l’indique la publication en mai dernier d’un essai intitulé Réformer les services de renseignement français, sous la plume de Jean-Jacques Urvoas, député PS et Floran Vadillo, doctorant en sciences politique. Ce document d’une quarantaine de pages, qui aurait reçu l’aval du Parti Socialiste, définit 36 propositions pour une réforme du renseignement, parmi lesquelles on notera « une loi qui officialise l’existence des services de renseignement et souligne leur absolue utilité ». Les auteurs de cet essai critiquent ouvertement la gestion du renseignement sous la présidence Sarkozy, s’interrogeant sur l’utilité du poste de Coordonnateur National du Renseignement (CNR), soulignant une forme de « présidentialisation du renseignement » et affirmant un échec du président dans sa volonté « d’institutionnaliser la coordination du renseignement ». Selon eux, il serait nécessaire de mieux répartir les rôles entre Président de la République et Premier ministre, avec la création d’un « Secrétariat général du renseignement » placé sous l’autorité du Premier Ministre. Le contrôle parlementaire des services de renseignement tient également une place importante dans cet essai qui propose le renforcement de la Délégation Parlementaire au Renseignement et la création d’un « Comité de suivi des services de renseignement ».

Du côté de l’UMP, il est difficile de trouver une littérature officielle sur les questions de renseignement en raison de l’absence, à cette heure, d’un programme officiel pour 2012. Toutefois, il est possible d’observer les orientations suivies par le gouvernement et la majorité présidentielle depuis 2007, à travers plusieurs réformes et directives budgétaires:

• Affirmation de l’importance de la fonction « connaissance et anticipation » dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008, avec une priorité donnée au renseignement.
• Création du poste de Coordonnateur National du Renseignement (CNR), visant à faciliter la coordination du renseignement et le partage d’informations, confié en premier lieu à Bernard Bajolet.
• Fusion des Renseignements généraux (RG) et de la direction de la surveillance du territoire (DST) au sein de la DCRI (Direction Central du Renseignement Intérieur), afin de centraliser les mission de contre-espionnage, de lutte contre le terrorisme, de sécurité économique et de surveillances des mouvements subversifs violents.
• Création d’une délégation parlementaire au renseignement (DPR) en octobre 2007.

• En 2011: une augmentation globale du budget de la DGSE (+12,3%), une diminution du budget de la DPSD (-3.6%), un budget globalement stable pour la DRM.

Un renseignement à la française

Dans l’attente de nouvelles propositions de la part des candidats et des partis politiques, le citoyen intéressé par les questions de renseignement trouvera ci-dessous quelques pistes de réflexion sur les évolutions récentes du renseignement français et sur ses spécificités.

→ Les services rencontrent des difficultés de financement dans certaines de leurs missions, comme le montre les difficultés rencontrées en 2010 par la DGSE pour payer les indemnités de résidence de certains de ses personnels.

→ Le recours systématique aux services en cas de situations de crises telles que des prises d’otages tend à monopoliser leurs moyens et à les détourner de leur mission première: le renseignement.

→ La fusion au sein de la DCRI, des services chargés du renseignement intérieurs qu’étaient la DST et les RG, motivée par un souci d’efficacité et de meilleure coopération entre services, a été vécue par certains comme l’absorption des Renseignements généraux par la DST, au risque d’une perte de savoir-faire en matière de surveillance des réseaux criminels.

→ Alors que de nombreux pays occidentaux se sont dotés de services de renseignement extérieurs civils, la France peut s’interroger sur la nécessité de conserver la spécificité militaire de la DGSE, alors qu’elle multiplie les recrutements d’analystes civils. Cette particularité française peut aussi constituer un atout alors que les services se voient régulièrement déployés sur des théâtres d’opérations militaires.

→ La coopération avec des services de renseignement étrangers qui ne partagent pas toujours les standards démocratiques français, parfois nécessaire à la protection des intérêts français, pose la question du partage des technologies et du savoir-faire français en matière de renseignement et du risque de faciliter des pratiques autoritaires. Cette problématique est notamment illustrée par le cas de la coopération entre la France et l’ancien régime Libyen.

Le renseignement et les Français

→ Afin de pouvoir s’intégrer dans le système démocratique, les services de renseignement doivent faire l’objet d’un réel contrôle parlementaire. Or, malgré la création d’une Délégation parlementaire au renseignement, la représentation nationale ne dispose toujours par de moyens de contrôle suffisants.

→ Le contrôle des interceptions de communications constitue également une mesure essentielle pour le respect de la vie privée de chaque citoyen. Alors que les écoutes téléphoniques ont augmenté de 440% entre 2001 et 2008, le fonctionnement de l’autorité chargée de leur contrôle (CNCIS) et les modalités de ce contrôle demeurent peu clairs.

→ Les services de renseignement souffrent d’un déficit d’image peu mérité, lié à une faiblesse en matière de communication. Leur apparition dans les médias grand public se fait trop souvent en lien avec des scandales politiques qui ternissent leur image et brouillent le sens de leurs missions.

→ L’État et les services chargés du renseignement doivent réfléchir à une véritable politique de sensibilisation du public aux thèmes du renseignement, de la sécurité et de la défense, afin de clarifier leur rôle et de procéder à leur nécessaire devoir d’information des citoyens. Cette sensibilisation doit également prendre la forme d’une véritable éducation des élus au renseignement et à la législation, tant sur le rôle des services que sur les enjeux démocratiques.

→ Le monde du renseignement doit s’ouvrir à la société française, en diversifiant ses politiques de recrutement, dont la discrétion et l’aspect restrictif ne sauraient être justifiés uniquement par des impératifs de sécurité. La création de l’académie du renseignement peut en ce sens constituer une première étape, à condition de s’étendre progressivement au secteur universitaire et non uniquement aux seules administrations d’État.

Première publication de cette chronique sur AGS (alliancegeostrategique.org) le 15 septembre 2011.

11/09/2011

ISR: Microsatellites vs. drones

Les agences de renseignement américaines et le Pentagone ont entamé une campagne intensive de lancement de petits satellites, dédiés principalement au renseignement et à la reconnaissance. Ces nouveaux satellites viennent concurrencer les drones d'observation et d'autres plateformes aéroportées sur le segment du renseignement tactique.

Contraintes satellitaires

Les satellites de petite taille font l'objet d'une attention nouvelle de la part de la défense américaine et de la communauté renseignement, plus particulièrement de la part du SOCOM, de la CIA et du NRO. L'engagement militaire des États-Unis en Irak et en Afghanistan, ainsi que la lutte contre le terrorisme ont relancé les campagnes de lancements de satellites de reconnaissance, la plupart dans le secret.

Dans le domaine de l'imagerie satellitaire, la doctrine en matière de lancement fut longtemps basée sur la mise en orbite d'une petite constellation de satellites de grande taille, permettant l'emport de capteurs sophistiqués de dernière génération, nécessitant peu de miniaturisation. Cette approche permet de placer en orbite des capteurs très performants afin de couvrir une zone d'intérêt à l'échelle régionale. Ces lancements représentent toutefois des couts considérables, les vecteurs nécessaires à l'emport de charges lourdes se révélant particulièrement onéreux.

Satellite KH-12

Une telle approche basée sur un petit nombre de satellites puissants présente également le désavantage de couvrir des champs d'observation limités et de ne pas autoriser une permanence au-dessus de la zone d'intérêt, deux contraintes liées aux orbites basses auxquelles les satellites d'observation opèrent généralement. Ces contraintes donnent lieu à des vides opérationnels, temporels ou spatiaux, au sein desquels le renseignement est "aveugle". Afin de combler ces vides, plusieurs options s'offrent aux agences de renseignement: l'achat d'imagerie commerciale, le leasing d'un satellite d'observation commercial, une requête d'imagerie à un pays allié ou le recours à d'autres capteurs d'imagerie aérienne.

Pour exemple, les États-Unis - très bien dotés en satellites d'observation - auraient récemment requis un appui français afin d'obtenir de l'imagerie satellitaire d'une zone d'intérêt située en Afrique. Ce type de collaboration ne suffit toutefois pas toujours, notamment lorsqu'il s'agit de couvrir des théâtres d'opérations très actifs, où le quasi-temps-réel devient très utile en matière de renseignement tactique. Dans ce cadre, le recours ponctuel à des drones de petite taille ou à des aéronefs de reconnaissance peut faire toute la différence lors de la planification d'opérations ou de l'appui d'opérations en cours. Des hélicoptères de reconnaissance, comme le Kiowa Warrior américain ou des chasseurs équipés de pods ISR, tels que le RAPTOR britannique ou le RECO-NG français, procurent un soutien bienvenu en matière de renseignement tactique.

Combler un vide capacitaire

Des opérations longues et des tâches spécifiques, telles que la surveillance des mouvements ennemis ou d'activités terroristes, poussent toutefois ces appareils dans leurs retranchements en terme d'autonomie et de persistance. Entre le satellite d'observation stratégique et le pod de reconnaissance tactique, il existe donc un vide auquel tentent de répondre plusieurs systèmes plus ou moins spécifiques. On peut en particulier citer un certain nombre de plateformes déjà anciennes, utilisées abondamment en raison de leur rusticité, telles que le P-3 Orion et l'avion-espion U-2, dont la mise à la retraite fut souvent annoncée mais jamais appliquée.

U-2 (2010)
Avion de reconnaissance à très haute altitude, l'U2 allie des qualités de furtivité et d'autonomie à une certain rusticité, ce qui lui vaut une si longue carrière, ainsi que les multiples améliorations dont il est l'objet. Les dernières versions de l'U2 emportent notamment le système optronique à haute résolution SYERS, des capteurs optroniques panoramiques et un radar d'imagerie tout-temps ASARS-2. Certaines versions de l'appareil sont dédiées au renseignement électronique (ELINT/SIGINT), d'autres encore peuvent être ravitaillées en vol. Si l'U-2 demeure couteux, il constitue une plateforme éprouvée et rentable, de par la qualité des produits d'imagerie qu'il peut fournir. Pré-positionné sur plusieurs bases autour du globe, il peut rapidement être déployé pour mener ses missions.

De nouveaux appareils sont développés pour des missions de reconnaissance longue, qu'il s'agisse d'avions civils modifiés pour la reconnaissance ou de drones high-tech conçus spécialement pour cette tâche. Le bimoteur King Air de Beechcraft est devenu en quelques années la plateforme de prédilection pour la reconnaissance aérienne des armées à petits budgets, s'attirant les faveurs de l'USMC, de l'armée de l'air irakienne et de la British Army. Équipés de moyens optroniques, radars ou d'interception des signaux, l'appareil peut évoluer à faible vitesse afin de surveiller un secteur d'opérations ou prendre des clichés à très haute résolution.

Les drones à longue endurance sont conçus pour répondre à l'impératif d'une reconnaissance persistante au-dessus d'un théâtre d'opérations. Ces drones de grande taille sont capables d'emporter des capteurs faiblement miniaturisés, des réserves de carburant, voire de l'armement. Afin d'augmenter leur rentabilité en matière d'imagerie, plusieurs programmes visent à les doter de capteurs optroniques gigapixels capables de couvrir de larges zones d'observations. Dans le domaine des drones de reconnaissance à longue endurance, le Global Hawk constitue le programme phare aux Etats-Unis. Exploité par l'US Air Force et la NASA, il peut emporter des capteurs très similaires à ceux du U-2 et a établi un record d'endurance à 30H d'autonomie en vol.

Une autre option afin de pallier aux carences des satellites de reconnaissance consiste en la mise en orbite d'autres satellites d'appui. La miniaturisation des composants et des capteurs, ainsi qu'un climat politique favorable ont permis à plusieurs programmes de satellites tactiques de progresser au cours des dix dernières années. Le programme TacSat vise à placer en orbite des satellites de reconnaissance de moins de 500kg (mini-satellites), grâce au lanceur Minotaur 1, conçu à partir du missile balistique Minuteman II. Ce programme est issu d'un concept datant de la guerre froide, le "lancement à la demande", visant à fournir une couverture satellite le plus rapidement possible au-dessus d'un "point chaud" ou d'un théâtre d'opérations. En juin dernier, le lanceur Minotaur 1 a placé en orbite basse le satellite tactique ORS-1, équipé d'un capteur optronique SYERS très proche de celui emporté par les avions U-2.

Satellite ORS-1
D'autres catégories de satellites tactiques se développent, sous la forme de micro-satellites (10-100kg) et nano-satellites (1-10kg). Tous ne sont pas dédiés à l'imagerie, mais servent également à la surveillance électronique et de relais de communications pour des opérations de renseignement ou de combat. Leur faible encombrement et leur poids limité leur permet d'exploiter les derniers kilogrammes de charge utile d'un lanceur commercial. Cette caractéristique permet notamment une certaine furtivité lors de la mise en orbite, leur présence n'étant pas toujours signalé sur le manifeste de l'opérateur de lancement. Ainsi, c'est lors d'une déclaration d'un responsable du SOCOM que fut annoncé discrètement le lancement de quatre mini-satellites militaires à bord d'une fusée de l'opérateur commercial Space-X, qui ne le mentionnait pas officiellement.

Les capacités de reconnaissance satellitaire américaines ont connu un véritable boost au cours des derniers mois, comme l'a reconnu la sous-directrice du NRO en début d'année. Avec une moyenne d'un satellite lancé chaque mois, elle qualifie la campagne de lancements en cours comme la plus soutenue des 25 dernières années. Il faut toutefois noter que ces chiffres sont non-classifiés et ne révèlent probablement pas toute l'ampleur du programme.

D'autres déclarations de responsables du Pentagone et de l'US Air Force laissent à penser que les lancements de petits satellites tactiques pourraient se multiplier. Le général Shelton, commandant de l'USAF Space Command s'est récemment déclaré pour la mise en place de capacités satellitaires redondantes et déconcentrées, afin d'atteindre une forme de résilience passive. Selon toute vraisemblance, il ne s'agit pas de multiplier les lancements de satellites de grande taille.

Des choix d'investissement complexes

Si ces différentes plateformes attirent l'attention du renseignement, elles n'ont pas pour autant toutes atteint une réelle maturité technologique. Face à cette diversité de solutions, les investissements budgétaires ont été particulièrement variables d'un projet à un autre depuis le milieu des années 90.

Les micro-satellites et nano-satellites, grâce à des composants acquis sur étagère, peuvent maintenir leur coûts de production au plus bas, bien que plusieurs industriels soient déjà au travail afin de fournir des composants dédiés et donc plus coûteux. De par leur petite taille, ces satellites ne peuvent pas emporter des capteurs puissants, ce qui limite leur intérêt en terme d'imagerie. Il semble difficile de les doter rapidement de capteurs à résolution submétrique. Leur intérêt réside donc principalement dans le monitoring de fréquences précises et dans les transmissions au-dessus d'une zone assez restreinte. Si leur format facilite des lancements furtifs grâce à des lanceurs commerciaux, un recours massif à ces petits satellites pourrait avoir pour conséquence de saturer des orbites tactiques avec de petits capteurs rapidement obsolètes.

Les mini-satellites nécessitent des lanceurs dédiés afin d'être placés en orbite et demeurent donc coûteux à déployer. Leur taille leur permet d'exploiter des capteurs de qualité intermédiaire, ne pouvant toutefois rivaliser avec les très hautes résolutions des plus gros satellites de reconnaissance. Le lancement à la demande, séduisant en théorie, reste un casse-tête budgétaire puisqu'il s'agit de financer le développement de satellites et de lanceurs maintenus en réserve, alors que leurs capteurs et leurs designs risquent l'obsolescence.

Drone Global Hawk
Les drones de reconnaissance souffrent pour leur part de ne pas être des satellites. Leur autonomie est conditionnée par leurs réserves de carburant et ils sont sujets à l'attrition, causée par des tirs ennemis, des pannes mécaniques ou des atterrissages ratés. L'accélération de leur développement ne date que d'une petite décennie et ces appareils ne disposent pas encore de composants éprouvés. Ces drones souffrent notamment d'un déficit technologique en matière de propulsion et requièrent des avancées notables dans le domaine des moteurs à haut rendement énergétique, de la propulsion électrique et du stockage énergétique. Le ravitaillement en vol et l'automatisation des différentes phases de vol font également partie des développements logiciels et matériels nécessaires à une véritable persistance des drones de reconnaissance.

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