15/09/2011

2012 et les enjeux du renseignement

À quelques mois de l’élection présidentielle et des élections législatives, le thème du renseignement n’est pas particulièrement mis en avant, ni par les médias, ni par les différents candidats. Les futurs élus auront pourtant la charge d’orienter et de contrôler les services, unités et administrations qui se consacrent au renseignement. Si le renseignement fait rarement l’objet d’un débat public, il n’est pourtant pas un domaine de total consensus et fait face à de véritables enjeux, tant sur un plan interne qu’au sein de la société française.



Une offre politique limitée

À huit mois des élections, un citoyen qui chercherait à connaître les positions des différents partis sur les questions de renseignement éprouverait sans doute des difficultés à y voir clair, tant les propositions formulées par les candidats en la matière sont peu nombreuses. Cette absence de postures claires de la part des partis pourrait s’expliquer de différentes façons: des programmes encore en gestation, le sentiment d’un manque d’intérêt du public sur des questions jugées « techniques » ou encore une forme d’humilité des politiques face à un domaine réservé à des « experts ». En se concentrant sur les programmes officiels et les derniers travaux des parlementaires, il est toutefois possible de distinguer certaines orientations de l’UMP et du PS, malgré le silence relatif de la scène politique sur ces questions.

Le Parti Socialiste s’est exprimé officiellement sur la question du renseignement dans son Projet 2012, précisément sur la question de la lutte contre le terrorisme, déclarant la nécessité de défendre « le développement d’un dispositif moderne de protection du territoire, y compris par des moyens de renseignement humain et technique permettant, dans le respect du droit, la détection précoce des menaces émergentes » . Cette prise de position liminaire ne semble toutefois pas constituer l’unique réflexion du PS sur les questions de renseignement, comme l’indique la publication en mai dernier d’un essai intitulé Réformer les services de renseignement français, sous la plume de Jean-Jacques Urvoas, député PS et Floran Vadillo, doctorant en sciences politique. Ce document d’une quarantaine de pages, qui aurait reçu l’aval du Parti Socialiste, définit 36 propositions pour une réforme du renseignement, parmi lesquelles on notera « une loi qui officialise l’existence des services de renseignement et souligne leur absolue utilité ». Les auteurs de cet essai critiquent ouvertement la gestion du renseignement sous la présidence Sarkozy, s’interrogeant sur l’utilité du poste de Coordonnateur National du Renseignement (CNR), soulignant une forme de « présidentialisation du renseignement » et affirmant un échec du président dans sa volonté « d’institutionnaliser la coordination du renseignement ». Selon eux, il serait nécessaire de mieux répartir les rôles entre Président de la République et Premier ministre, avec la création d’un « Secrétariat général du renseignement » placé sous l’autorité du Premier Ministre. Le contrôle parlementaire des services de renseignement tient également une place importante dans cet essai qui propose le renforcement de la Délégation Parlementaire au Renseignement et la création d’un « Comité de suivi des services de renseignement ».

Du côté de l’UMP, il est difficile de trouver une littérature officielle sur les questions de renseignement en raison de l’absence, à cette heure, d’un programme officiel pour 2012. Toutefois, il est possible d’observer les orientations suivies par le gouvernement et la majorité présidentielle depuis 2007, à travers plusieurs réformes et directives budgétaires:

• Affirmation de l’importance de la fonction « connaissance et anticipation » dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008, avec une priorité donnée au renseignement.
• Création du poste de Coordonnateur National du Renseignement (CNR), visant à faciliter la coordination du renseignement et le partage d’informations, confié en premier lieu à Bernard Bajolet.
• Fusion des Renseignements généraux (RG) et de la direction de la surveillance du territoire (DST) au sein de la DCRI (Direction Central du Renseignement Intérieur), afin de centraliser les mission de contre-espionnage, de lutte contre le terrorisme, de sécurité économique et de surveillances des mouvements subversifs violents.
• Création d’une délégation parlementaire au renseignement (DPR) en octobre 2007.

• En 2011: une augmentation globale du budget de la DGSE (+12,3%), une diminution du budget de la DPSD (-3.6%), un budget globalement stable pour la DRM.

Un renseignement à la française

Dans l’attente de nouvelles propositions de la part des candidats et des partis politiques, le citoyen intéressé par les questions de renseignement trouvera ci-dessous quelques pistes de réflexion sur les évolutions récentes du renseignement français et sur ses spécificités.

→ Les services rencontrent des difficultés de financement dans certaines de leurs missions, comme le montre les difficultés rencontrées en 2010 par la DGSE pour payer les indemnités de résidence de certains de ses personnels.

→ Le recours systématique aux services en cas de situations de crises telles que des prises d’otages tend à monopoliser leurs moyens et à les détourner de leur mission première: le renseignement.

→ La fusion au sein de la DCRI, des services chargés du renseignement intérieurs qu’étaient la DST et les RG, motivée par un souci d’efficacité et de meilleure coopération entre services, a été vécue par certains comme l’absorption des Renseignements généraux par la DST, au risque d’une perte de savoir-faire en matière de surveillance des réseaux criminels.

→ Alors que de nombreux pays occidentaux se sont dotés de services de renseignement extérieurs civils, la France peut s’interroger sur la nécessité de conserver la spécificité militaire de la DGSE, alors qu’elle multiplie les recrutements d’analystes civils. Cette particularité française peut aussi constituer un atout alors que les services se voient régulièrement déployés sur des théâtres d’opérations militaires.

→ La coopération avec des services de renseignement étrangers qui ne partagent pas toujours les standards démocratiques français, parfois nécessaire à la protection des intérêts français, pose la question du partage des technologies et du savoir-faire français en matière de renseignement et du risque de faciliter des pratiques autoritaires. Cette problématique est notamment illustrée par le cas de la coopération entre la France et l’ancien régime Libyen.

Le renseignement et les Français

→ Afin de pouvoir s’intégrer dans le système démocratique, les services de renseignement doivent faire l’objet d’un réel contrôle parlementaire. Or, malgré la création d’une Délégation parlementaire au renseignement, la représentation nationale ne dispose toujours par de moyens de contrôle suffisants.

→ Le contrôle des interceptions de communications constitue également une mesure essentielle pour le respect de la vie privée de chaque citoyen. Alors que les écoutes téléphoniques ont augmenté de 440% entre 2001 et 2008, le fonctionnement de l’autorité chargée de leur contrôle (CNCIS) et les modalités de ce contrôle demeurent peu clairs.

→ Les services de renseignement souffrent d’un déficit d’image peu mérité, lié à une faiblesse en matière de communication. Leur apparition dans les médias grand public se fait trop souvent en lien avec des scandales politiques qui ternissent leur image et brouillent le sens de leurs missions.

→ L’État et les services chargés du renseignement doivent réfléchir à une véritable politique de sensibilisation du public aux thèmes du renseignement, de la sécurité et de la défense, afin de clarifier leur rôle et de procéder à leur nécessaire devoir d’information des citoyens. Cette sensibilisation doit également prendre la forme d’une véritable éducation des élus au renseignement et à la législation, tant sur le rôle des services que sur les enjeux démocratiques.

→ Le monde du renseignement doit s’ouvrir à la société française, en diversifiant ses politiques de recrutement, dont la discrétion et l’aspect restrictif ne sauraient être justifiés uniquement par des impératifs de sécurité. La création de l’académie du renseignement peut en ce sens constituer une première étape, à condition de s’étendre progressivement au secteur universitaire et non uniquement aux seules administrations d’État.

Première publication de cette chronique sur AGS (alliancegeostrategique.org) le 15 septembre 2011.

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