Les agences de renseignement américaines et le Pentagone ont entamé une campagne intensive de lancement de petits satellites, dédiés principalement au renseignement et à la reconnaissance. Ces nouveaux satellites viennent concurrencer les drones d'observation et d'autres plateformes aéroportées sur le segment du renseignement tactique.
Contraintes satellitaires
Les satellites de petite taille font l'objet d'une attention nouvelle de la part de la défense américaine et de la communauté renseignement, plus particulièrement de la part du SOCOM, de la CIA et du NRO. L'engagement militaire des États-Unis en Irak et en Afghanistan, ainsi que la lutte contre le terrorisme ont relancé les campagnes de lancements de satellites de reconnaissance, la plupart dans le secret.
Dans le domaine de l'imagerie satellitaire, la doctrine en matière de lancement fut longtemps basée sur la mise en orbite d'une petite constellation de satellites de grande taille, permettant l'emport de capteurs sophistiqués de dernière génération, nécessitant peu de miniaturisation. Cette approche permet de placer en orbite des capteurs très performants afin de couvrir une zone d'intérêt à l'échelle régionale. Ces lancements représentent toutefois des couts considérables, les vecteurs nécessaires à l'emport de charges lourdes se révélant particulièrement onéreux.
Une telle approche basée sur un petit nombre de satellites puissants présente également le désavantage de couvrir des champs d'observation limités et de ne pas autoriser une permanence au-dessus de la zone d'intérêt, deux contraintes liées aux orbites basses auxquelles les satellites d'observation opèrent généralement. Ces contraintes donnent lieu à des vides opérationnels, temporels ou spatiaux, au sein desquels le renseignement est "aveugle". Afin de combler ces vides, plusieurs options s'offrent aux agences de renseignement: l'achat d'imagerie commerciale, le leasing d'un satellite d'observation commercial, une requête d'imagerie à un pays allié ou le recours à d'autres capteurs d'imagerie aérienne.
Pour exemple, les États-Unis - très bien dotés en satellites d'observation - auraient récemment requis un appui français afin d'obtenir de l'imagerie satellitaire d'une zone d'intérêt située en Afrique. Ce type de collaboration ne suffit toutefois pas toujours, notamment lorsqu'il s'agit de couvrir des théâtres d'opérations très actifs, où le quasi-temps-réel devient très utile en matière de renseignement tactique. Dans ce cadre, le recours ponctuel à des drones de petite taille ou à des aéronefs de reconnaissance peut faire toute la différence lors de la planification d'opérations ou de l'appui d'opérations en cours. Des hélicoptères de reconnaissance, comme le Kiowa Warrior américain ou des chasseurs équipés de pods ISR, tels que le RAPTOR britannique ou le RECO-NG français, procurent un soutien bienvenu en matière de renseignement tactique.
Combler un vide capacitaire
Des opérations longues et des tâches spécifiques, telles que la surveillance des mouvements ennemis ou d'activités terroristes, poussent toutefois ces appareils dans leurs retranchements en terme d'autonomie et de persistance. Entre le satellite d'observation stratégique et le pod de reconnaissance tactique, il existe donc un vide auquel tentent de répondre plusieurs systèmes plus ou moins spécifiques. On peut en particulier citer un certain nombre de plateformes déjà anciennes, utilisées abondamment en raison de leur rusticité, telles que le P-3 Orion et l'avion-espion U-2, dont la mise à la retraite fut souvent annoncée mais jamais appliquée.
Avion de reconnaissance à très haute altitude, l'U2 allie des qualités de furtivité et d'autonomie à une certain rusticité, ce qui lui vaut une si longue carrière, ainsi que les multiples améliorations dont il est l'objet. Les dernières versions de l'U2 emportent notamment le système optronique à haute résolution SYERS, des capteurs optroniques panoramiques et un radar d'imagerie tout-temps ASARS-2. Certaines versions de l'appareil sont dédiées au renseignement électronique (ELINT/SIGINT), d'autres encore peuvent être ravitaillées en vol. Si l'U-2 demeure couteux, il constitue une plateforme éprouvée et rentable, de par la qualité des produits d'imagerie qu'il peut fournir. Pré-positionné sur plusieurs bases autour du globe, il peut rapidement être déployé pour mener ses missions.
De nouveaux appareils sont développés pour des missions de reconnaissance longue, qu'il s'agisse d'avions civils modifiés pour la reconnaissance ou de drones high-tech conçus spécialement pour cette tâche. Le bimoteur King Air de Beechcraft est devenu en quelques années la plateforme de prédilection pour la reconnaissance aérienne des armées à petits budgets, s'attirant les faveurs de l'USMC, de l'armée de l'air irakienne et de la British Army. Équipés de moyens optroniques, radars ou d'interception des signaux, l'appareil peut évoluer à faible vitesse afin de surveiller un secteur d'opérations ou prendre des clichés à très haute résolution.
Les drones à longue endurance sont conçus pour répondre à l'impératif d'une reconnaissance persistante au-dessus d'un théâtre d'opérations. Ces drones de grande taille sont capables d'emporter des capteurs faiblement miniaturisés, des réserves de carburant, voire de l'armement. Afin d'augmenter leur rentabilité en matière d'imagerie, plusieurs programmes visent à les doter de capteurs optroniques gigapixels capables de couvrir de larges zones d'observations. Dans le domaine des drones de reconnaissance à longue endurance, le Global Hawk constitue le programme phare aux Etats-Unis. Exploité par l'US Air Force et la NASA, il peut emporter des capteurs très similaires à ceux du U-2 et a établi un record d'endurance à 30H d'autonomie en vol.
Une autre option afin de pallier aux carences des satellites de reconnaissance consiste en la mise en orbite d'autres satellites d'appui. La miniaturisation des composants et des capteurs, ainsi qu'un climat politique favorable ont permis à plusieurs programmes de satellites tactiques de progresser au cours des dix dernières années. Le programme TacSat vise à placer en orbite des satellites de reconnaissance de moins de 500kg (mini-satellites), grâce au lanceur Minotaur 1, conçu à partir du missile balistique Minuteman II. Ce programme est issu d'un concept datant de la guerre froide, le "lancement à la demande", visant à fournir une couverture satellite le plus rapidement possible au-dessus d'un "point chaud" ou d'un théâtre d'opérations. En juin dernier, le lanceur Minotaur 1 a placé en orbite basse le satellite tactique ORS-1, équipé d'un capteur optronique SYERS très proche de celui emporté par les avions U-2.
D'autres catégories de satellites tactiques se développent, sous la forme de micro-satellites (10-100kg) et nano-satellites (1-10kg). Tous ne sont pas dédiés à l'imagerie, mais servent également à la surveillance électronique et de relais de communications pour des opérations de renseignement ou de combat. Leur faible encombrement et leur poids limité leur permet d'exploiter les derniers kilogrammes de charge utile d'un lanceur commercial. Cette caractéristique permet notamment une certaine furtivité lors de la mise en orbite, leur présence n'étant pas toujours signalé sur le manifeste de l'opérateur de lancement. Ainsi, c'est lors d'une déclaration d'un responsable du SOCOM que fut annoncé discrètement le lancement de quatre mini-satellites militaires à bord d'une fusée de l'opérateur commercial Space-X, qui ne le mentionnait pas officiellement.
Les capacités de reconnaissance satellitaire américaines ont connu un véritable boost au cours des derniers mois, comme l'a reconnu la sous-directrice du NRO en début d'année. Avec une moyenne d'un satellite lancé chaque mois, elle qualifie la campagne de lancements en cours comme la plus soutenue des 25 dernières années. Il faut toutefois noter que ces chiffres sont non-classifiés et ne révèlent probablement pas toute l'ampleur du programme.
D'autres déclarations de responsables du Pentagone et de l'US Air Force laissent à penser que les lancements de petits satellites tactiques pourraient se multiplier. Le général Shelton, commandant de l'USAF Space Command s'est récemment déclaré pour la mise en place de capacités satellitaires redondantes et déconcentrées, afin d'atteindre une forme de résilience passive. Selon toute vraisemblance, il ne s'agit pas de multiplier les lancements de satellites de grande taille.
Des choix d'investissement complexes
Si ces différentes plateformes attirent l'attention du renseignement, elles n'ont pas pour autant toutes atteint une réelle maturité technologique. Face à cette diversité de solutions, les investissements budgétaires ont été particulièrement variables d'un projet à un autre depuis le milieu des années 90.
Les micro-satellites et nano-satellites, grâce à des composants acquis sur étagère, peuvent maintenir leur coûts de production au plus bas, bien que plusieurs industriels soient déjà au travail afin de fournir des composants dédiés et donc plus coûteux. De par leur petite taille, ces satellites ne peuvent pas emporter des capteurs puissants, ce qui limite leur intérêt en terme d'imagerie. Il semble difficile de les doter rapidement de capteurs à résolution submétrique. Leur intérêt réside donc principalement dans le monitoring de fréquences précises et dans les transmissions au-dessus d'une zone assez restreinte. Si leur format facilite des lancements furtifs grâce à des lanceurs commerciaux, un recours massif à ces petits satellites pourrait avoir pour conséquence de saturer des orbites tactiques avec de petits capteurs rapidement obsolètes.
Les mini-satellites nécessitent des lanceurs dédiés afin d'être placés en orbite et demeurent donc coûteux à déployer. Leur taille leur permet d'exploiter des capteurs de qualité intermédiaire, ne pouvant toutefois rivaliser avec les très hautes résolutions des plus gros satellites de reconnaissance. Le lancement à la demande, séduisant en théorie, reste un casse-tête budgétaire puisqu'il s'agit de financer le développement de satellites et de lanceurs maintenus en réserve, alors que leurs capteurs et leurs designs risquent l'obsolescence.
Les drones de reconnaissance souffrent pour leur part de ne pas être des satellites. Leur autonomie est conditionnée par leurs réserves de carburant et ils sont sujets à l'attrition, causée par des tirs ennemis, des pannes mécaniques ou des atterrissages ratés. L'accélération de leur développement ne date que d'une petite décennie et ces appareils ne disposent pas encore de composants éprouvés. Ces drones souffrent notamment d'un déficit technologique en matière de propulsion et requièrent des avancées notables dans le domaine des moteurs à haut rendement énergétique, de la propulsion électrique et du stockage énergétique. Le ravitaillement en vol et l'automatisation des différentes phases de vol font également partie des développements logiciels et matériels nécessaires à une véritable persistance des drones de reconnaissance.
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Très bon article, vraiment bien détaillé !
RépondreSupprimerJe me permets quelques apports:
- Il y a une 3ème possibilité en plus des moyens d'obs aériens et les satellites en orbites basses: les satellites d'observation en orbite géostationnaire. La technologie n'est pas encore mure mais on s'en approche, Astrium a pris les devants (http://event.astrium.eads.net/node.php?articleid=492 )
- Ensuite, un des gros désavantages du drone face au satellite: ça nécessite l'autorisation de survol des pays, tant pour le transit que pour la zone d'observation, sauf si l'on dispose d'un drone particulièrement furtif.
- Par contre comme inconvénient du satellite, sa prédictibilité. Si on connait les paramètres de son orbite on peut en déduire l'heure de passage sur une zone donnée, donc pas d'effet de surprise.
- Pour finir, concernant les coûts prohibitifs de mise en orbite, il y a plein de projets en cours, de la classique utilisation d'anciens missiles balistiques (il y avait un projet d'Astrium de transformer les M-45 et de les lancer depuis le centre d'essai des Landes), au lanceur aéroporté en passant par des roquettes de MLRS modifiées.
Voilà, sinon serait ce possible d'avoir un lien vers l'info concernant la demande d'appui de moyens sat français par les USA ?
Cordialement,
Etienne
Clair, concis et efficace. Merci.
RépondreSupprimerCharles, Étienne, merci pour vos commentaires.
RépondreSupprimer@Etienne M.
- L'imagerie en orbite géostationnaire concernera des satellites de grande taille, avec un lancement coûteux (lanceurs de charges lourdes). Qu'il s'agisse du GO-3S ou du MOIRE, la résolution ne sera très probablement pas métrique. On s'éloigne bien de la reconnaissance tactique.
- Comme je l'ai dit, le drone souffre de ne pas être un satellite. Toutefois, en matière de renseignement tactique, les survols sont négociés en amont dans le cadre des mandats opérationnels ou l'agence/armée se passe simplement d'autorisation.
- La prédictibilité est un défaut des satellites, moindre avec les micro/nano-sats plus difficile à détecter. La détection de satellite de qualité militaire requière des moyens de détection sophistiqués que peu possèdent (cf. radar Graves). De plus, les Américains travaillent de longue date sur la furtivité des satellites.
- Pour les coûts de mise en orbite, je cite bien les lanceurs de satellites tactiques, cf. Minotaur 1 et l'article consacré au sujet.