Le
projet de loi relatif au renseignement a été présenté le
19 mars 2015 en conseil des ministres et a
pour objectif de fournir une « loi cadre » à
l'ensemble des services de renseignement français. Son examen
a été accéléré suite aux attentats de janvier 2015, mais ce n'est pas pour autant une loi de circonstances. En effet, la
quasi-totalité des mesures décrites dans ce projet de loi est issue
des travaux menés au sein de la Fondation Jean Jaurès, depuis plus
de quatre ans. Cette « réforme des services de
renseignement français » est donc un travail de longue
haleine, qui a connu des soubresauts et des refus, et dont ce projet
de loi devait constituer l'étape finale.
Une
politique publique sans « politique publique » ?
L'exposé
des motifs du projet de loi insiste bien sur la volonté ancienne
de ses créateurs, de proposer une loi cadre pour l'ensemble des
activités de renseignement étatiques, dont le Titre Ier doit
établir les fondements, déterminant « les principes et les
finalités de la politique publique de renseignement ».
Il ne reste toutefois plus grand chose de cette politique publique du
renseignement dans la version finale du projet de loi puisque la
mention même de « politique publique » qui apparaissait
dans le deuxième article du Titre Ier a été supprimée.
On
pouvait s'attendre à trouver une réflexion de fond sur le bien
fondé de l'existence des services de renseignement dans une
république, sur l'éthique des fonctionnaires de l'Etat qui les
servent ou encore sur les grandes missions qu'ils doivent remplir. On
ne trouve plus qu'un résumé succinct du cycle du renseignement et
un rappel au Livre blanc sur la sécurité et la défense nationale :
les services « ont pour mission, en France et à
l’étranger, la recherche, la collecte, l’exploitation et la mise
à disposition du Gouvernement des renseignements relatifs aux enjeux
géopolitiques et stratégiques ainsi qu’aux menaces et aux risques
susceptibles d' affecter la vie de la Nation. Ils contribuent à la
connaissance et à l’anticipation de ces enjeux ainsi qu’à la
prévention et à l’entrave de ces risques et menaces ».
La définition des intérêts publics dont les services de
renseignement sont chargés reste assez limitée et
on peut s'étonner que la mention de la « prévention
de la prolifération des armes de destruction massive »
qui figurait dans l'avant-projet de loi ait été retirée.
En
ne poursuivant pas ce qui semble avoir été leur intention première,
les créateurs du projet de loi ne définissent pas en profondeur les
missions de chacun des services de renseignement. Pour cela, il
faudra se référer à des décrets, tels que le récent décret organique portant sur la DGSE qui donne une vision plus
complète des missions du renseignement extérieur. En laissant à
l'exécutif le rôle de définir les missions des services et en ne
l'intégrant pas à ce qui est présenté comme une loi cadre, le
gouvernement ne favorise pas un débat de fond au parlement sur
l'essence du renseignement, ses enjeux, ses nuances et ses limites.
L'exécutif conserve donc la main, par décret, sur la définition
des missions régaliennes des services de renseignement, avec la
possibilité de les modifier sans vote.
Le
retour de la CCAR
En
mai 2013, la mission d'information sur l'évaluation du cadre
juridique applicable aux services de renseignement avait préconisé
la création d'une Commission de contrôle des activités de
renseignement (CCAR) qui aurait absorbé les compétences et les
moyens de la Commission nationale de contrôle des interceptions de
sécurité (CNCIS) et qui aurait également été chargée de
contrôler de nouvelles pratiques de renseignement à inscrire dans
la loi, telles que la pose de balises de géolocalisation ou le
recours à des matériels d'interception GPS. L'Elysée avait tranché
un mois plus tard en ne retenant pas la création d'une CCAR.
Près
de deux ans après cette déconvenue, les artisans du projet de loi
reviennent avec la même proposition d'une commission de contrôle
aux compétences élargies, rebaptisée Commission nationale de
contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). L'objectif d'une
telle commission est d'encadrer les pratiques intrusives des services
de renseignement au-delà des seules interceptions administratives
(écoutes téléphoniques et demandes de relevés téléphoniques),
pour mieux encadrer certaines techniques déjà employées par les
services de renseignement, telles que le recours à des balises GPS,
à des micros et des caméras dissimulées, ou à des IMSI-catchers.
Il s'agit aussi de préparer l'avenir avec une commission capable
d'encadrer des techniques qui ne sont pas encore référencées et
qui pourraient faire l'objet d'une légalisation dans les années à
venir.
Le
projet de loi stipule que les autorisations de recours à ces
« techniques spéciales » seront données, pour la
plupart, après avis de la commission et sur décision du Premier
ministre, ce qui institue un contrôle a priori
dont la CNCIS ne disposait pas. Il existe toutefois une exception
« d'urgence absolue »
où le Premier ministre peut autoriser ces techniques avant l'avis de
la CNCTR. Une autre exception de « cas d'urgence liée
à une menace imminente ou à un risque très élevé de ne pouvoir
effectuer l'opération ultérieurement »
prévoit qu'un « dispositif technique permettant la
localisation en temps réel »
(balise GPS...) puisse être installé sans autorisation ni du
Premier ministre, ni de la CNCTR. Autant d'exceptions dont on espère
qu'elles soient utilisées avec raison et parcimonie par les services
de renseignement.
On
notera toutefois que si la CNCTR disposera d'un droit d'accès « aux
autorisations, relevés, registres, données collectées,
transcriptions et extractions »
liées aux techniques spéciales qu'elle encadre, et que ses membres
sont autorisés, es qualités,
à connaître « des informations ou des éléments
d'appréciation » protégés
par le secret de la défense nationale, leur droit d'accès à des
locaux ou documents pertinents n'est pas illimité.
Compte
tenu des prérogatives de contrôle, a priori, a posteriori
et sur les autorisations en cours de la CNCTR, parmi
lesquelles un droit d'accès aux locaux des fournisseurs d'accès et
opérateurs téléphoniques « où sont mises en œuvre des techniques
de recueil du renseignement », des droits d'accès élargies auraient
pu lui être confiées. A cet égard, on peut se référer aux
pouvoirs des Intelligence Services Commissionner (ISC)
et Interception of Communication Commissionner (IOCCO)
britanniques, qui bien que
n'étant pas des commissions parlementaires mais des personnes
qualifiées nommées par le Premier ministre, disposent de missions
très proches de celles de la CNCIS et de la CNCTR. On notera que
l'ISC dispose de véritables pouvoirs de contrôle au sein des
services : il surveille la conformité des perquisitions (y
compris électroniques) et des missions de surveillance menées par
les services ; il mène à discrétion des visites d'inspection
dans les services ; il entend les agents de son choix et de
différents grades au sein des équipes; et tout
membre des services de renseignement doit lui fournir les documents
qu'il requiert, sans qu'aucune limite ne puisse lui être opposée.
L'ISC comme l'IOCCO sont dotés de staff
compétents et spécialisés qui l'appuient dans ses missions et dans
un travail de documentation.
La
CNCTR sera dotée de 9 membres, issus du Conseil d'Etat, de la Cour
de cassation, de l'Assemblée nationale et du Sénat, ainsi qu'une
« personnalité
qualifiée en matière de communications électroniques, nommée sur
proposition de l'ARCEP ».
Lors de ses délibérations, seule la présence de quatre membres de
la commission est requise, alors que l'avant-projet de loi prévoyait
un minimum de 5 membres présents. Cette disposition qui prévoit un
quorum assez faible ne favorise pas le suivi du contrôle à long
terme par les membres de la commission et ouvre la porte à un
possible absentéisme.
Le
projet de loi ne prévoit pas non plus une forte responsabilisation
du Premier ministre et des ministres de tutelle des services de
renseignement, qui pourront continuer à déléguer à leur gré les
questions de renseignement. En effet, la loi prévoit que les
autorisations puissent être délivrées par l'une des six
personnes
spécialement déléguées par le Premier ministre , et que
chaque ministre concerné puisse déléguer trois personnes pour
émettre les demandes écrites d'autorisations. Les ministres
pourront donc, comme ce fut souvent le cas sous la Ve République,
continuer à se désintéresser des questions de renseignement et en
confier la gestion quotidienne aux membres de leurs cabinets, ou à
des conseillers spécialement nommés.
Légalisation
de moyens et « boîtes noires »
Depuis
la publication du projet de loi, le débat public se centre
principalement sur les potentielles atteintes aux libertés
individuelles que pourraient entraîner la légalisation de pratiques
alégales ou illégales (barrer la mention inutile)
déjà en cours au sein des services de renseignement.
Ces
pratiques sont notamment : la pose de balises de géolocalisation
sur des objets (sacs, vêtements...) ou des véhicules ;
l'installation de micros ou de caméras dissimulés (avec ou sans
entrée par effraction) ; la captation de données sur un
système automatisé de traitements de données (ordinateurs...) à
distance ou in situ ;
l'interception de communications d'un téléphone mobile, des
métadonnées liées à ses communications et sa géolocalisation;
l'interception de données et de communications transitant sur des
réseaux informatiques (internet...).
La
plupart de ces techniques sont déjà mises en œuvre par les
services de renseignement français, le plus souvent avec l'aval ou
le consentement des plus hauts échelons de leurs hiérarchies, et
sans réelle opposition des gouvernements successifs. L'objectif
premier de cette « légalisation des techniques »
est avant tout d'éviter une condamnation par la Cour
européenne des droits de l'Homme (CEDH), dans le cas où le recours
à l'une de ces pratiques serait contestée en justice.
Nous
ne reviendrons pas point par point sur les risques que font peser la
légalisation de ces techniques de renseignement sur la vie privée
et les libertés individuelles, et nous renvoyons nos lecteurs à la
sélection d'articles en bas de page.
Il
convient de noter que l'autorisation de ces pratiques créera une
masse considérable de travail pour la CNCTR, qui reprendra déjà à
sa charge les missions de la CNCIS. On peut également s'attendre à
une augmentation progressive des demandes d'autorisations, au rythme
de la légalisation des pratiques déjà en cours au sein des
services. Compte tenu du nombre de membres de la Commission (9
membres, avec un quorum de 4 membres), du format restreint de ses
équipes et du nombre de demandes d'autorisations qui lui seront
adressées, la CNCTR pourrait se retrouver rapidement débordée, et
ne consacrer au final qu'un temps et une attention limités à chaque
dossier. Chaque citoyen pouvant désormais saisir la CNCTR pour
vérification d'une hypothétique surveillance de la part des
services de renseignement, le nombre de dossiers pourrait également
augmenter, avec des délais de traitement qui ne seraient plus
satisfaisants. Il faut d'ailleurs noter que le droit de saisir la
CNCTR pourrait être exploité comme vecteur d'une contestation
militante, visant à saturer la commission de demandes afin d'en
pointer les limites.
Le
projet de loi prévoit également la création d'un nouveau
dispositif technique visant à détecter les « signaux
faibles » de menaces
terroristes sur internet. Les acteurs du web, et en premier lieu les
fournisseurs d'accès à internet, devront se soumettre à « la
mise en œuvre sur les informations et document traités par leurs
réseaux d'un dispositif destiné à révéler, sur la seule base de
traitements automatisés anonymes, une menace terroriste »,
dispositifs qualifiés par certains observateurs de « boîtes
noires ». Si une menace
terroriste était « révélée », le Premier ministre ou
l'une des personnes déléguées par lui,
peut « décider de la levée de l'anonymat sur les
données, informations et documents afférents ».
Il
s'agit sans doute là de la disposition la plus conjoncturelle du
projet de loi, dans le contexte de la lutte contre les filières
jihadistes vers la Syrie et l'Irak, et suite aux attentats de janvier
2015. Au-delà de cette dimension réactive
du projet de loi, de nombreux doutes existent sur l'utilité et les
risques liés au déploiement de tels dispositifs.
Le
projet de loi et son étude d'impact restent assez vagues sur la
prise en charge des surcoûts techniques liés à la mise en œuvre
de ces dispositifs par les FAI, ainsi que le sur le coût global de la
solution technique (software et hardware) qui devra être développée.
D'autre part, la détection de signaux faibles repose sur le
développement d'algorithmes basés sur un ensemble de mots-clés et
de sélecteurs au cœur du dispositif. Le projet de loi n'indique pas
quelles autorités seront en charge du choix de ces sélecteurs, mais
il s'agira sans doute directement des services de renseignement. Le
choix de ces sélecteurs, individuellement ou par corrélation, peut
permettre de surveiller des informations qui sortent du cadre de la
détection d'une menace terroriste – par exemple pour s'étendre au
champ économique – ou poser atteinte à la vie privée d'un
individu sans lien avec une menace terroriste. Afin que ce dispositif
reste efficient, les sélecteurs doivent être modifiés, ajustés et
affinés très régulièrement, ce qui peut permettre d'insérer des
sélecteurs d'intérêt très périphériques à la détection de la
menace terroriste et de les retirer à la volée. A contrario, si le
nombre de ces sélecteurs reste trop restreint, ou si leur processus
de sélection est soumis à un contrôle administratif trop lourd qui
en retarde l'ajustement, le dispositif technique risque de devenir
inefficient, voire inopérant, et de tomber en désuétude pour les
services de renseignement, avec la tentation de se concentrer sur des
dispositifs extra-légaux ou simplement moins encadrés.
La
légalisation de l'ensemble de ces techniques de renseignement pose
de toute façon le problème de leur exploitation dans le cadre de la
lutte contre le terrorisme qui en est la principale justification
conjoncturelle. Dans ce cadre, la lutte contre la menace terroriste
sur le territoire national doit aboutir in fine,
à une procédure judiciaire. Les éléments de preuves transmis à
la justice doivent l'être par l'intermédiaire d'officiers de police
judiciaire (OPJ) censés en assurer l'authenticité, la mise sous
scellés et la conservation. Les OPJ chargés de la lutte contre le
terrorisme sont principalement concentrés au sein de la « sous-direction judiciaire » de Direction
Générale du Renseignement Intérieur (DGSI), la DGSE n'ayant pas de prérogative
judiciaire. Or, les OPJ de la sous-direction judiciaire de la DGSI ne
sont que 70 à 80 et sont les seuls à pouvoir assurer la
« transformation »
ou « construction »
des éléments de preuves, y compris ceux recueillis lors
d'interceptions administratives ou hors d'une procédure judiciaire.
Ces OPJ sont déjà soumis à une lourde charge de travail, ce qui
ralentit fortement le traitement des dossiers liés à la menace
terroriste par la Justice. L'adjonction de nouvelles techniques de
renseignement « légales » fera donc peser sur eux un
ensemble de tâches supplémentaires, et renforcera le goulet
d'étranglement que représente l'étape de « judiciarisation »
dans la lutte contre le terrorisme.
Un
élargissement discret de la communauté du renseignement
Volonté
ancienne des rédacteurs de la loi et qui n'a pas pleinement abouti
dans la LPM, l'élargissement de la communauté du renseignement en
cercles successifs s'immisce dans le titre I de ce projet de loi.
La « communauté du renseignement » ne réunit
aujourd'hui que les six « services spécialisés de
renseignement » que sont la DGSE, la DGSI, la DRM, la DPSD, la
DNRED et TRACFIN. L'appartenance à cette communauté du
renseignement conditionne l'accès du service à des notes et
synthèses de renseignement, à certains documents protégés par le
secret de la défense nationale, à des réunions et structures
d'échanges de renseignement, à des prérogatives régaliennes et au
recours à des « techniques spéciales ». L'accès à ce
cercle fermé est aujourd'hui un enjeu, de fonctionnement mais
également de prestige, pour ceux qui n'en sont pas.
Le
projet de loi prévoit qu'un décret pris par le Conseil d'Etat, pris
avec avis de la CNCTR, élargira le recours aux « techniques
spéciales » à des services relevant des ministères de la
Défense, de l'Intérieur et de l'Economie « autres
que les services spécialisés de renseignement »
. Accéder à ces « techniques spéciales » c'est se
doter de moyens de recueillir des renseignements au-delà du
renseignement de sources ouvertes, de ce que les « services
spécialisés » veulent bien partager et au-delà de la
légalité encore en cours. Les services en lice pour apparaître
dans ce décret ne sont pas cités dans la loi, mais sont déjà bien
connus. Ce sont la SDAO (Sous-direction à l'Anticipation
Opérationnelle) de la Gendarmerie, arme qui souhaite depuis des
décennies être dotée d'un véritable service de renseignement ;
le SCRT (Service central du Renseignement Territoriale) et la DRPP
(Direction du renseignement de la Préfecture de police de Paris),
services héritiers des Renseignement généraux ; et peut-être
d'autres services de la DGPN, tels que l'OCLCTIC (Office Central de
Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l'Information
et de la Communication) qui pourrait accéder aux techniques
spéciales liées aux systèmes d'information.
En
disposant que cet élargissement « par le bas » de la
communauté du renseignement se fasse par décret, le projet de loi
évite là encore un débat parlementaire en bonne et due forme sur
ce qui constitue un service de renseignement, et sur le bien fondé
du recours à des techniques de renseignement intrusives. En ne
restreignant pas à une liste précise les services des ministères
pouvant prétendre à ce nouveau statut, le projet de loi renforce la
discrétion de cette nouvelle disposition, mais ouvre également la
voie à des nominations potentiellement exotiques, puisque cette
absence de restriction pourrait voir – pourquoi pas - un
secrétariat général être doté d'une autorisation aux techniques
spéciales de renseignement.
Le
périlleux encadrement du renseignement extérieur
L'ambition
la plus notable de ce projet de loi réside sans doute dans sa
volonté affichée d'encadrer le renseignement hors du territoire
national. Cette initiative avait été suggérée afin de protéger
les droits des citoyens français, mais également les droits de
l'homme à l'échelle globale. L'encadrement des activités des services de renseignement à
l'étranger trouvera toutefois ses limites, puisque comme l'a déjà
rappelé le Conseil d'Etat « les personnes situées à
l'étranger échappent à la juridiction de l'Etat ».
Cet
encadrement « des mesures de surveillance internationale »
ne concerne que les interceptions de communications et non les autres
« techniques spéciales » du renseignement. Il s'agit
donc d'une définition assez étroite du spectre des missions des
services de renseignement hors du territoire national. L'objet du
chapitre IV est de régir les « mesures prises par les
pouvoirs publics » pour la « surveillance et le
contrôle des transmissions qui sont émises ou reçues à
l'étranger ».
L'interception
et l'exploitation de ces communications seront soumises à
autorisation du Premier ministre ou d'une des personnes déléguées
par lui. Un décret du Conseil d'Etat stipulera les conditions
d'exploitation, de conservation et de destruction des renseignements
obtenus. Un autre décret du Conseil d'Etat précisera les modalités
de surveillance. Ce dernier décret ne sera pas publié, et on peut
le comprendre, afin de garantir la préservation du secret
entourant les techniques d'interceptions à l'étranger. Il sera
toutefois présenté à la CNCTR et la Délégation parlementaire au
renseignement (DPR), ce qui est une bonne chose.
D'autre
part, les communications interceptées à l'étranger mais renvoyant
à « des numéros d’abonnement ou à des identifiants
techniques rattachables au territoire national » seront
soumises aux mêmes obligations que les interceptions ayant lieu en
France, ce qui serait également une bonne chose, à condition que
ces éléments soient systématiquement vérifiés.
En
faisant référence de manière très large aux « pouvoirs
publics », le projet de loi ne distingue pas spécifiquement
les services de renseignement qui seront soumis à une autorisation
préalable du Premier ministre afin de mener des interceptions de
communication hors du territoire national. La définition des
« pouvoirs publics » est déterminante, et pour la Cour
des Comptes, « Les pouvoirs publics regroupent des fonctions
régaliennes de l’Etat, comme la défense, la justice, la sécurité
publique et les forces de l’ordre (armée, police et
gendarmerie) ». L'encadrement des interceptions menées
par les pouvoirs publics à l'étranger ne concerne donc pas
uniquement les services spécialisés de renseignement (DGSE...),
mais par extension la DRM et les forces armées.
On
imagine mal des unités de transmissions, de guerre électronique, de
hussards, de dragons parachutistes ou de sous-mariniers déployés en
opérations extérieures, attendre une autorisation du Premier
ministre avant de procéder à l'interception de communications.
Il
en résulte que soit le projet de loi induit une définition plus
restreinte des « pouvoirs publics » que celle de la Cour
des comptes, soit le Premier ministre sera amené à signer des
autorisations d'interceptions d'ordre très générale pour les
forces armées (blancs-seings) - ce qui annulera l'effet de la mesure
– soit encore, les unités concernées s'en passeront.
La
CNCTR pourra être saisie « par toute personne y ayant un
intérêt direct et personnel » d'une vérification concernant
l'application de ces dispositions. La vérification à l'étranger
sera évidemment particulièrement difficile, et cette disposition
pourrait également permettre à des citoyens étrangers – par
exemple d'un pays où la France est engagée en opérations
extérieures, ou d'un pays ayant des relations diplomatiques
difficiles avec la France – de saisir en masse la CNCTR s'ils
soupçonnent que leurs communications sont interceptées hors du
cadre légal.
Toujours
dans le domaine du renseignement hors du territoire national, on
notera que le projet de loi souhaite instituer dans son article 10,
une excuse pénale « pour exonérer les agents habilités de
certains services spécialisés de renseignement de poursuites
pénales lorsqu’ils portent atteinte, pour des motifs d’intérêt
public limitativement énumérés, à des systèmes d’information
situés hors du territoire national ». Il s'agit clairement
d'empêcher toute poursuite à l'encontre d'un agent de l'Etat
lorsqu'il mène à distance des investigations dans un système de
traitement de données, mais également de doter d'un statut spécial
les « opérateurs » des services chargés de la lutte
informatique, défensive comme offensive.
Un
régime spécial est également réservé aux données des
« hackers », et autres « bidouilleurs »,
mais également de ceux cherchant à protéger leurs données par
chiffrement (chercheurs, entreprises, journalistes...) lorsqu'elles
sont récupérées par les services autorisés, en France ou à
l'étranger. Un alinéa stipule que « en cas de stricte
nécessité, pour les seuls besoins de l’analyse technique, celles
des données collectées qui contiennent des éléments de
cyberattaque ou qui sont chiffrées, ainsi que les données
déchiffrées associées à ces dernières, peuvent être conservées
au-delà de la durée mentionnée à l’alinéa précédent, à
l’exclusion de toute utilisation pour la surveillance des personnes
concernées. ». Il n'est pas fait mention d'un délai
maximum de conservation de ces données à statut spécial, il est
donc potentiellement illimité. Il s'agira simplement pour les
services de mentionner une nécessaire « analyse
technique ».
Le
projet de loi relatif au renseignement fait donc preuve d'ambitions
assez inégales et devra sans doute faire l'objet de nombreux
ajustements avant de présenter un ensemble cohérent et
satisfaisant.
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L'avis de la CNIL sur le projet de loi renseignement
Bonjour,
RépondreSupprimerje m'interroge quand même sur la saisine directe de la CNTCR par les citoyens, y compris étranger il semble.
Au delà de la démagogie patente de cette mesure annoncée, qu'est-elle censé apporter à part une congestion de cette commission ? A moins que la subtilité soit là : créer une commission qui ne peut fonctionner que si on ne s'en sert pas.
Il n'y a qu'une règle à respecter dans le renseignement : ne pas se faire prendre. Le reste, ...