Le
projet de loi relatif au renseignement, a
été adopté en première lecture à l'Assemblée nationale dans le
cadre d'une procédure d'urgence et après un débat rapide en
commission des lois. Parmi les différentes mesures prévues par le
projet de loi, traitées dans un précédent article de Zone
d'Intérêt,
figure l'encadrement des « mesures
de surveillance internationale »
qui relèvent principalement du renseignement extérieur.
Ces
mesures d'encadrement figurent dans l'article 3, chapitre IV du
projet de loi et stipulent que l'interception des communications
« émises
ou reçues à l'étranger »
sont soumises à l'autorisation du Premier ministre, ou des personnes
spécialement déléguées par lui. Cette disposition légale semble
encadrer assez précisément l'interception des communications à
l'étranger, avec un contrôle a posteriori de la future Commission
nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR).
Cet
article de loi a, selon l'exposé des motifs donné par le rapporteur
de la loi, l'ambition de faire rentrer dans le cadre de la loi la
pratique, souvent clandestine, des interceptions de communications
par le renseignement extérieur.
« Ce type de surveillance, qui représente un besoin crucial,
s’exerçait donc sans encadrement juridique ; ce projet de loi y
remédie, et il s’agit
d’un progrès décisif. » |
En analysant cette mesure d'encadrement, Zone d'Intérêt avait émis des doutes sur son applicabilité, notamment parce que les interceptions de communication émises ou reçues à l'étranger sont menées par plusieurs services, la DGSE et la DRM en premier lieu, mais également par plusieurs unités militaires. Or si les régiments spécialisés qui procèdent au recueil du renseignement d'origine électromagnétique (ROEM) le font parfois au profit de « services spécialisés de renseignement » (DRM, DGSE...) qui relèvent du ministre de la Défense ou du Premier ministre, il le font également à leur propre profit, et à celui du commandement en opérations comme de l'état-major. Ainsi, ces unités qui ne relèvent pas organiquement des services spécialisés de renseignement, ni de l'autorité du Premier ministre, mais en dernière ligne du Président de la République chef des armées, auraient du se soumettre à une demande d'autorisation auprès des services du Premier ministre. Cet élément posait un premier problème, tant réglementaire qu'opérationnel, mais n'a pourtant fait l'objet d'aucune demande d'amendement de la part du ministre de la Défense pendant toute la durée de l'examen en commission et en séance publique.
De
manière intéressante, Benard Bajolet, directeur général de la
sécurité extérieure, se montrait plutôt satisfait du projet de
loi lors de son audition devant la commission de la défense nationale et des forces armées.
Cela peut surprendre lorsqu'on connaît la posture traditionnelle de
la DGSE, assez peu encline à voir ses prérogatives se restreindre
ou sa marge de manœuvre opérationnelle se trouver engoncée dans un
carcan législatif.
« L’article
le plus important pour mon service est celui relatif à la
surveillance internationale. Cet article L. 854-1 prend en
considération la réalité des activités que nous menons. Sa
rédaction nous convient. »
- Bernard Bajolet, directeur de la DGSE, 24 mars 2015
|
Enfin,
il est surprenant d'imaginer que le gouvernement veuille se plonger
dans l'encadrement des interceptions de communication menées par le
renseignement extérieur, alors même que le Conseil d'Etat l'en
dispense largement. Cette disposition est d'ailleurs bien connue du
rapporteur de la loi, qui est également le président de la
Délégation parlementaire au renseignement (DPR) et qui a signé son
rapport d'activité pour l'année 2014. Dans ce rapport est cité un
avis du Conseil d’État qui souligne que les communications émises
ou reçues à l'étranger échappent en réalité largement au champ
d'application de la loi française.
« Tout
comme la légitimité des surveillances des communications
électroniques par les pouvoirs publics n’est pas douteuse dans son
principe, le fait que les garanties entourant l’interception des
communications soient moindres lorsqu’elles concernent l’étranger
se justifie aisément. Comme le rappelle encore lumineusement le
Conseil d’État, «
dès lors que les
personnes situées à l’étranger échappent à la juridiction de
l’État,
l’interception de leurs communications n’est pas susceptible de
porter atteinte à leurs droits dans la même mesure que si elles se
situaient sur le territoire » » |
Comment
expliquer alors que le gouvernement cherche à encadrer
l'interception des communications « émises
ou reçues à l'étranger »,
alors même que le Conseil d'Etat ne semble pas considérer cela
comme nécessaire et tout en satisfaisant la DGSE ?
Lire
la loi avec un miroir
Selon
des éléments d'information complémentaires sollicités par Zone
d'Intérêt,
il faut s'attacher à considérer ce que la loi ne stipule pas et
lire certaines dispositions de l'article 3 à revers pour mieux
comprendre que le projet de loi encadre finalement très peu le
renseignement extérieur.
Dans
le chapitre IV de l'article 3, il est bien précisé que
l'autorisation du Premier ministre concerne « la surveillance
et le contrôle des communications qui sont émises
ou reçues à l’étranger ».
Mais il n'est jamais fait mention du lieu
de l'interception.
Or comme l'a rappelé le Conseil d'Etat ce qui se passe hors du
territoire national tend à échapper au champ de l'application de la
loi française, surtout si celle-ci ne le stipule pas explicitement.
Le
projet de loi encadrera uniquement l'interception des communications
menée depuis
le
territoire national, c'est-à-dire les communications qui transitent
par les câbles, lignes téléphoniques et voies hertziennes
(communications par satellite, téléphonie mobile, HF...) qui
peuvent être captées depuis
la France.
Ainsi
aucune des interceptions de communications qui seront menées hors
de France
par les services de renseignement (DGSE, DRM...), les régiments
spécialisés, des stations d'interception clandestines, des
bâtiments, sous-marins ou aéronefs, ou des services alliés, ne
seront concernées par la loi.
La
rédaction de l'article 3 pose également question quant aux
protections supplémentaires censées être accordées aux
communications « émises
ou reçues à l'étranger »
qui « renvoient
à des numéros
d’abonnement
ou à des identifiants techniques rattachables au territoire
national »,
c'est à dire des communications émises ou reçues par des citoyens
français sur le territoire français, ou par des personnes résidant
en France. Ces communications, lorsqu'elles sont interceptées,
doivent faire l'objet d'un contrôle de la CNCTR, ce qui n'est pas le
cas des communications émises de l'étranger vers l'étranger.
Mais
comme l'article précise que « ces
mesures sont exclusivement
régies »
par
l'article 854-1 qui ne s'applique pas hors du territoire français,
les communication des Français auront-elles droit à ces mêmes
protections si elles ont interceptées par les services de
renseignement à
l'extérieur
du
territoire national ?
Jusqu'à
présent, les communications des Français constituaient un « no
go »
pour la DGSE qui s'interdit officiellement d'exploiter toute
communication d'un citoyen français sans respecter le cadre prévu
par la CNCIS. Selon un article de l'Opinion,
à la DGSE : « la
première chose que font nos logiciels est de vérifier s'il s'agit
d'une communication française ».
Cette
ligne de conduite officielle de la DGSE ne relève pas aujourd'hui
d'une loi précise, mais d'une interprétation en interne de la
jurisprudence de la CNCIS, ce qui est rappelé par le DGSE en
audition, sans préciser toutefois si son service s'astreint à
respecter les mêmes règles si l'interception est menée à
l'étranger.
« C’est grâce à la jurisprudence, que l’on peut qualifier de créative, de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) que nous avons pu combler le fossé qui s’est progressivement élargi entre les dispositions légales et l’évolution des techniques. Nous travaillons sur la base de cette jurisprudence. C’est certes un cadre légal mais, dans le système français où la jurisprudence n’a pas la même force que dans les pays anglo-saxons, une telle base juridique est malgré tout assez fragile. »
- Bernard Bajolet, directeur de la DGSE, 24 mars 2015
|
La
CNCIS qui est à l'origine de cette jurisprudence est appelée à
disparaître au profit de la CNCTR et le nouvel article 854-1
deviendra le seul texte de référence auquel la DGSE sera tenue de
se plier concernant l'interception des communications émises ou
reçues à l'étranger.
Il
est difficile d'avoir la certitude que si une communication
« rattachable » à un Français est interceptée hors
du territoire nationale, celle-ci bénéficiera des garanties prévues
par l'article 854-1 alors même que celui-ci s'applique uniquement en
France.
Sur
un plan purement pratique, même si le projet de loi indique que la
CNCTR pourra « disposer
d'un accès permanent […] à tous les locaux dans lesquels s'exerce
la centralisation de ces renseignements »,
elle pourra difficilement contrôler les renseignements recueilles
dans d'éventuelles stations clandestines des services de
renseignement à l'étranger ou dans les régiments spécialisés en
opérations extérieures, qui de toute façon ne relèvent pas de sa
juridiction.
Une
interprétation particulièrement retorse de la loi pourrait même
pousser certains services à délocaliser
hors du territoire national certaines de leurs activités de recueil
de renseignement afin d'échapper à cet encadrement légal. Il est
même envisageable que si une communication est recueillie, traitée
et analysée hors du territoire nationale, elle puisse ne jamais être
touchée par l'application de la loi. Il deviendrait alors difficile
de caractériser dans un sous-produit de renseignement telle qu'une
note ou une analyse, des informations recueillies qui ont pu relever
à un moment du champ d'application de la loi française ou de ce qui
y a toujours échappé.
D'autres
desiderata du DGSE
On
comprend donc que le renseignement extérieur restera largement
épargné par l'application de la future loi relative en
renseignement si elle est votée en l'état.
Il
est toutefois intéressant de noter que la direction générale de la
sécurité extérieure semble vouloir être dotée d'exemptions plus
larges, tant en matière d'interceptions de communications que dans
ses opérations clandestines à l'étranger.
En
audition devant la Commission de la défense nationale, Bernard
Bajolet a demandé à ce qu'une réflexion soit entamée afin de
créer un statut qui protégerait moins les communications des
étrangers de passage en France que celles des citoyens français.
Ces communications deviendraient alors « fair
game »
pour la DGSE au même titre que lorsqu'elle intercepte des
communications à l'étranger.
« La
loi ne comporte pas à ce stade de distinction entre les étrangers
de passage en France
et les personnes de nationalité française ou résidant
habituellement sur le territoire. La réflexion
est cependant pertinente, dans la mesure où mon service est amené à
suivre des objectifs
étrangers lorsqu’ils se trouvent sur le sol national. Cela n’est
pas explicitement pris en
compte par la loi. »
- Bernard Bajolet, 24 mars 2015
|
Dans
son article 10, le projet de loi prévoit une forme « d'exemption
pénal » en faveur des agents des services de renseignement
lorsqu'ils mènent des opérations de lutte informatique offensive
hors du territoire national. En effet, le chapitre du code pénal
relatif aux « atteintes
aux systèmes de traitement automatisé de données »
ne s'appliquera alors plus aux agents.
Le
directeur général de la sécurité extérieure a demandé à ce que
cette exemption soit étendue à toutes
les activités que mènent les agents de renseignement à
l'étranger.
« La
disposition est donc limitée, et nous serions favorables à une
mesure qui assurerait la protection pénale, dans leur propre pays,
des agents pour l’ensemble des activités qu’ils mènent à
l’extérieur de nos frontières, dès lors que celles-ci relèvent
de leurs missions telles que définies par la loi. »
- Bernard Bajolet, 24 mars 2015
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Des
agents de la DGSE peuvent en effet être amenés à s'affranchir de
nombreuses lois lorsqu'ils opèrent à l'étranger. Les activités de
la DGSE comprennent également des actions clandestines, menées en
particulier par son Service Action. Ce service est parfois amené à
conduire des « opérations
d'entrave »
ou autres « direct
actions »
telles que qualifiées par les services anglo-saxons, avec des règles
d'engagement particulièrement agressives et qui mettent parfois en
péril des vies humaines. Un exemple de ces opérations est notamment
celle qui a été menée en Somalie en janvier 2013, avec pour
objectif la libération de l'otage Denis Allex.
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