Le 4 décembre dernier, L'Obs
révélait l'existence d'une annexe de l'ambassade de Chine en
France, située à Chevilly Larue, au sud de Paris. Sur le toit de
cette annexe, on peut observer plusieurs antennes paraboliques de
grande taille, dédiées aux communications par satellite.
Selon L'Obs,
l'ambassade de Chine justifie la présence de ces antennes en
affirmant qu'elles ne servent qu'à des transmissions diplomatiques
vers Pékin. Les experts consultés par le journal estiment pour leur
part qu'au moins deux des trois antennes de grande taille servent à
intercepter des communications par satellite.
Contacté par Zone
d'Intérêt, Alain Charret 1, spécialiste des écoutes radio et
rédacteur en chef de Renseignor, considère qu'il est « pratiquement
impossible de différencier visuellement une antenne parabolique
utilisée pour assurer une liaison spécifique, d'une destinée
uniquement à l'interception ».
Toutefois, compte
tenu des pratiques habituelles des services de renseignement
extérieurs consistant à installer des stations d'interception dans leurs postes diplomatiques, l'hypothèse de L'Obs
selon laquelle cette annexe de l'ambassade chinoise servirait à
intercepter des communications par satellite ne semble pas
invraisemblable.
Thuraya et Inmarsat ? Pas si sûr.
Une des sources consultées par L'Obs
considère que l'une des antennes présentes sur le toit de l'annexe
chinoise intercepterait les communications du satellite Thuraya 2, en
orbite géostationnaire au-dessus de la corne de l'Afrique, alors
qu'une autre antenne orientée vers l'ouest capterait les
communications d'un satellite de la constellation Inmarsat ou
Intelsat.
On comprend aisément que le spécialiste consulté
par L'Obs pense rapidement aux satellites Thuraya et Inmarsat
comme des cibles intéressantes pour les services de renseignement
chinois. On trouve en effet, parmi les utilisateurs réguliers des
services de télécommunication Thuraya et Inmarsat, de grands
groupes industriels français, mais aussi des services de l'État. Les
satellites Thuraya relaient notamment des communications de la DRM,
de la DGSE et de l'état-major de l'armée de terre.
Néanmoins, lorsqu'on prête un peu attention à
l'imagerie commerciale disponible sur cette annexe diplomatique, il
apparaît que les satellites surveillés par les services de
renseignement chinois ne sont peut-être pas ceux cités par L'Obs.
Afin d'intercepter au mieux les communications transmises par les satellites et de faciliter le traitement des signaux, les antennes doivent être orientées précisément vers les satellites ciblés. S'il est difficile de déterminer avec exactitude vers quels satellites ces antennes sont orientées, notamment à défaut de relevés d'inclinaison, il est possible d'estimer leur orientation générale.
Comme on peut l'observer, il semble difficile pour l'antenne orientée vers l'Est de capter les données du satellite Thuraya-2 dont l'orbite géosynchrone se trouve à 44 degrés de longitude Est. L'orientation générale de cette antenne est plus vraisemblablement vers 28-30 degrés de longitude Est. On trouve dans cette direction plusieurs satellites de communication, et en particulier le satellite Arabsat 5A (30.5°E), le satellite XTAR-EUR (29°E) et le satellite Eutelsat 28A (28.50°E). Le satellite Arabsat 5A est notamment exploité en France par Orange Business, qui compte parmi ses clients des services de l'État. Le satellite XTAR-EUR est un satellite émettant en bande X, une fréquence privilégiée de plusieurs systèmes militaires, actuellement exploité comme relais de communication pour les plateformes aériennes (King Air 350, Dash 8) de reconnaissance (ISR) de l'armée américaine. Le satellite Eutelsat 28A fait partie de la constellation de satellites de télécommunications Eutelsat, dont une station terrestre majeure se trouve en région parisienne.
Il semble également
difficile pour l'antenne orientée vers l'Ouest de capter les données
du satellite Inmarsat 3-F4, dont l'orbite se trouve à 54 degrés de
longitude Ouest. L'orientation plus probable de cette antenne serait
entre 35 et 45 degrés de longitude Ouest. Si on ne trouve pas de
satellite Inmarsat dans cette direction, on trouve toutefois
plusieurs satellites de la constellation Intelsat, citée par L'Obs.
Compte tenu des
contraintes techniques de l'interception des communications par
satellite, cette station d'interception présumée pourrait
difficilement se suffire à elle-même et ferait probablement partie
d'un ensemble de capteurs plus vaste.
L'interception des communications par satellite
L'interception des télécommunication par satellite, nommée pudiquement « monitoring » par l'industrie de défense, requiert en effet un ensemble de moyens techniques géographiquement répartis afin de capter, traiter et reconstituer des communications.
Une des techniques d'interception les plus discrètes, celle du « monitoring tactique », repose sur de petites antennes portatives et facilement dissimulables, qui captent l'uplink (liaison montante, du terminal de communication vers le satellite) et le downlink (liaison descendante, du satellite vers le terminal), d'une cible. Ces systèmes d'interception assez compacts permettent d'intercepter les communications d'un terminal précis, tel qu'un téléphone satellite, à condition de se trouver à portée de celui-ci. Il s'agit donc d'une technique d'interception à faible rayon d'action.
Système d'interception tactique |
Exemple de couverture par spot beams d'un satellite de télécommunications |
Dans le cadre d'un programme de monitoring stratégique, un service de renseignement cherchera à placer ses stations d'interception à proximité de spot beams où sont susceptibles de se trouver les terminaux satellites de ses cibles, des stations de communications étatiques ou de grandes entreprises (feeders, hubs) et surtout, à proximité de stations terrestres (gateways) afin de pouvoir intercepter en masse les communications qui descendent vers celles-ci. Chaque spot beam couvrant plusieurs centaines de km², la station de Chevilly-Larue serait en mesure de capter des liaisons descendantes à destination d'au moins trois stations terrestres majeures de télécommunication par satellite, situées en région parisienne.
Afin de reconstituer l'intégralité d'une communication, une station de monitoring stratégique doit se coordonner avec une équipe de monitoring tactique interceptant l'uplink de la cible, ou avec d'autres stations de monitoring stratégique interceptant l'autre partie downlink de la communication. Toutefois, dans des cas de communications par satellite à courte distance où les deux correspondants se trouveraient dans le même spot beam ou dans des spot beams adjacents, une seule station de monitoring stratégique pourrait être en mesure de reconstituer la communication.
Capter les signaux transmis par les satellites n'est qu'une partie du travail d'interception, complétée par plusieurs étapes de traitement, en particulier le démultiplexage et le déchiffrement. Plusieurs entreprises du secteur défense, américaines, européennes et asiatiques, proposent « sur étagère » des systèmes informatiques conçus pour intercepter et traiter les communications des principaux réseaux commerciaux de télécommunication par satellite (Inmarsat, Thuraya, Intelsat...).
Système de monitoring stratégique |
A minima, une station de monitoring tactique est en mesure collecter les métadonnées complètes de plusieurs dizaines de communications simultanées, dont les coordonnées GPS de la station terrestre la plus proche du correspondant, la région où se trouve le terminal cible, l'identifiant de référence attribué à chaque communication par le réseau, le type de données transmises lors de la communication (Voix, fax, SMS...), le type de terminal cible (téléphone satellite, etc.) et le type d'algorithme de chiffrement utilisé pour protéger la communication. Il semble que de nombreux réseaux de télécommunications par satellite utilisent par défaut des algorithmes de chiffrement similaires à ceux des réseaux de téléphonie mobile, notamment A5/1 et A5/2. Les fournisseurs de service et les utilisateurs peuvent évidemment renforcer la protection de leurs communications en utilisant leurs propres algorithmes.
Un réseau de stations de monitoring stratégique est en mesure de reconstituer l'intégralité des communications (Voix, données...) entre plusieurs correspondants et d'obtenir les coordonnées GPS des terminaux de chaque correspondant.
La Chine possède également plusieurs stations de renseignement électromagnétique sur son propre territoire, notamment à proximité de Changji et de Hong Kong.
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1 Alain Charret a notamment publié La guerre secrète des écoutes, aux Éditions Ouest France (2013)
À lire sur ce sujet :
- Vincent Jauvert, « Comment la Chine espionne le monde depuis la banlieue parisienne », L'Obs
- Matthew Aid, Changji : China's biggest SIGINT site
- OSIMINT : China's new SIGINT station in Hong Kong
- FAS : Chinese intelligence facilities
- Zone d'Intérêt : Les grandes oreilles américaines à Paris
Merci pour cet article très détaillé !
RépondreSupprimerComme toujours super article :)
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