22/12/2014

Antennes chinoises et interceptions de communications

Le 4 décembre dernier, L'Obs révélait l'existence d'une annexe de l'ambassade de Chine en France, située à Chevilly Larue, au sud de Paris. Sur le toit de cette annexe, on peut observer plusieurs antennes paraboliques de grande taille, dédiées aux communications par satellite.

Selon L'Obs, l'ambassade de Chine justifie la présence de ces antennes en affirmant qu'elles ne servent qu'à des transmissions diplomatiques vers Pékin. Les experts consultés par le journal estiment pour leur part qu'au moins deux des trois antennes de grande taille servent à intercepter des communications par satellite.

Contacté par Zone d'Intérêt, Alain Charret 1, spécialiste des écoutes radio et rédacteur en chef de Renseignor, considère qu'il est « pratiquement impossible de différencier visuellement une antenne parabolique utilisée pour assurer une liaison spécifique, d'une destinée uniquement à l'interception ».

Toutefois, compte tenu des pratiques habituelles des services de renseignement extérieurs consistant à installer des stations d'interception dans leurs postes diplomatiques, l'hypothèse de L'Obs selon laquelle cette annexe de l'ambassade chinoise servirait à intercepter des communications par satellite ne semble pas invraisemblable.

Thuraya et Inmarsat ? Pas si sûr.

Une des sources consultées par L'Obs considère que l'une des antennes présentes sur le toit de l'annexe chinoise intercepterait les communications du satellite Thuraya 2, en orbite géostationnaire au-dessus de la corne de l'Afrique, alors qu'une autre antenne orientée vers l'ouest capterait les communications d'un satellite de la constellation Inmarsat ou Intelsat.

On comprend aisément que le spécialiste consulté par L'Obs pense rapidement aux satellites Thuraya et Inmarsat comme des cibles intéressantes pour les services de renseignement chinois. On trouve en effet, parmi les utilisateurs réguliers des services de télécommunication Thuraya et Inmarsat, de grands groupes industriels français, mais aussi des services de l'État. Les satellites Thuraya relaient notamment des communications de la DRM, de la DGSE et de l'état-major de l'armée de terre.

Néanmoins, lorsqu'on prête un peu attention à l'imagerie commerciale disponible sur cette annexe diplomatique, il apparaît que les satellites surveillés par les services de renseignement chinois ne sont peut-être pas ceux cités par L'Obs.



Annexe diplomatique chinoise de Chevilly-Larue et orientation générale des antennes
Image satellite de 2011
(On n'observe pas d'évolution de l'orientation sur d'autres images de juin 2014, ni sur les photographies de L'Obs.)


Afin d'intercepter au mieux les communications transmises par les satellites et de faciliter le traitement des signaux, les antennes doivent être orientées précisément vers les satellites ciblés. S'il est difficile de déterminer avec exactitude vers quels satellites ces antennes sont orientées, notamment à défaut de relevés d'inclinaison, il est possible d'estimer leur orientation générale.

Comme on peut l'observer, il semble difficile pour l'antenne orientée vers l'Est de capter les données du satellite Thuraya-2 dont l'orbite géosynchrone se trouve à 44 degrés de longitude Est. L'orientation générale de cette antenne est plus vraisemblablement vers 28-30 degrés de longitude Est. On trouve dans cette direction plusieurs satellites de communication, et en particulier le satellite Arabsat 5A (30.5°E), le satellite XTAR-EUR (29°E) et le satellite Eutelsat 28A (28.50°E). Le satellite Arabsat 5A est notamment exploité en France par Orange Business, qui compte parmi ses clients des services de l'État. Le satellite XTAR-EUR est un satellite émettant en bande X, une fréquence privilégiée de plusieurs systèmes militaires, actuellement exploité comme relais de communication pour les plateformes aériennes (King Air 350, Dash 8) de reconnaissance (ISR) de l'armée américaine. Le satellite Eutelsat 28A fait partie de la constellation de satellites de télécommunications Eutelsat, dont une station terrestre majeure se trouve en région parisienne.

Il semble également difficile pour l'antenne orientée vers l'Ouest de capter les données du satellite Inmarsat 3-F4, dont l'orbite se trouve à 54 degrés de longitude Ouest. L'orientation plus probable de cette antenne serait entre 35 et 45 degrés de longitude Ouest. Si on ne trouve pas de satellite Inmarsat dans cette direction, on trouve toutefois plusieurs satellites de la constellation Intelsat, citée par L'Obs.

Compte tenu des contraintes techniques de l'interception des communications par satellite, cette station d'interception présumée pourrait difficilement se suffire à elle-même et ferait probablement partie d'un ensemble de capteurs plus vaste.

L'interception des communications par satellite

L'interception des télécommunication par satellite, nommée pudiquement « monitoring » par l'industrie de défense, requiert en effet un ensemble de moyens techniques géographiquement répartis afin de capter, traiter et reconstituer des communications.

Une des techniques d'interception les plus discrètes, celle du « monitoring tactique », repose sur de petites antennes portatives et facilement dissimulables, qui captent l'uplink (liaison montante, du terminal de communication vers le satellite) et le downlink (liaison descendante, du satellite vers le terminal), d'une cible. Ces systèmes d'interception assez compacts permettent d'intercepter les communications d'un terminal précis, tel qu'un téléphone satellite, à condition de se trouver à portée de celui-ci. Il s'agit donc d'une technique d'interception à faible rayon d'action.

Système d'interception tactique

Le second type d'interception de communications par satellite, dit « monitoring stratégique », est beaucoup moins discret et doit recourir à des antennes paraboliques plus ou moins larges, similaires à celles qu'on observe sur l'annexe diplomatique chinoise de Chevilly-Larue. Cette technique d'interception ne capte que le downlink d'une communication, c'est-à-dire les signaux émis par un satellite vers la Terre. Les satellites de communication modernes ne transmettent pas leurs signaux « tous azimuts », mais en ciblant leur faisceau vers la zone où se trouve le correspondant de la communication (spot beam). Si le correspondant final n'utilise pas un terminal satellite, le signal sera transmis vers la station terrestre (gateway) la plus proche du correspondant qui pourra renvoyer la communication vers une ligne terrestre, ou un autre satellite de transit.


Exemple de couverture par spot beams d'un satellite de télécommunications

Dans le cadre d'un programme de monitoring stratégique, un service de renseignement cherchera à placer ses stations d'interception à proximité de spot beams où sont susceptibles de se trouver les terminaux satellites de ses cibles, des stations de communications étatiques ou de grandes entreprises (feeders, hubs) et surtout, à proximité de stations terrestres (gateways) afin de pouvoir intercepter en masse les communications qui descendent vers celles-ci. Chaque spot beam couvrant plusieurs centaines de km², la station de Chevilly-Larue serait en mesure de capter des liaisons descendantes à destination d'au moins trois stations terrestres majeures de télécommunication par satellite, situées en région parisienne.

Afin de reconstituer l'intégralité d'une communication, une station de monitoring stratégique doit se coordonner avec une équipe de monitoring tactique interceptant l'uplink de la cible, ou avec d'autres stations de monitoring stratégique interceptant l'autre partie downlink de la communication. Toutefois, dans des cas de communications par satellite à courte distance où les deux correspondants se trouveraient dans le même spot beam ou dans des spot beams adjacents, une seule station de monitoring stratégique pourrait être en mesure de reconstituer la communication.

Capter les signaux transmis par les satellites n'est qu'une partie du travail d'interception, complétée par plusieurs étapes de traitement, en particulier le démultiplexage et le déchiffrement. Plusieurs entreprises du secteur défense, américaines, européennes et asiatiques, proposent « sur étagère » des systèmes informatiques conçus pour intercepter et traiter les communications des principaux réseaux commerciaux de télécommunication par satellite (Inmarsat, Thuraya, Intelsat...).

Système de monitoring stratégique

A minima, une station de monitoring tactique est en mesure collecter les métadonnées complètes de plusieurs dizaines de communications simultanées, dont les coordonnées GPS de la station terrestre la plus proche du correspondant, la région où se trouve le terminal cible, l'identifiant de référence attribué à chaque communication par le réseau, le type de données transmises lors de la communication (Voix, fax, SMS...), le type de terminal cible (téléphone satellite, etc.) et le type d'algorithme de chiffrement utilisé pour protéger la communication. Il semble que de nombreux réseaux de télécommunications par satellite utilisent par défaut des algorithmes de chiffrement similaires à ceux des réseaux de téléphonie mobile, notamment A5/1 et A5/2. Les fournisseurs de service et les utilisateurs peuvent évidemment renforcer la protection de leurs communications en utilisant leurs propres algorithmes.

Un réseau de stations de monitoring stratégique est en mesure de reconstituer l'intégralité des communications (Voix, données...) entre plusieurs correspondants et d'obtenir les coordonnées GPS des terminaux de chaque correspondant.

La Chine possède également plusieurs stations de renseignement électromagnétique sur son propre territoire, notamment à proximité de Changji et de Hong Kong.

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1 Alain Charret a notamment publié La guerre secrète des écoutes, aux Éditions Ouest France (2013)

À lire sur ce sujet :
- Vincent Jauvert, « Comment la Chine espionne le monde depuis la banlieue parisienne », L'Obs

- Matthew Aid, Changji : China's biggest SIGINT site
- OSIMINT : China's new SIGINT station in Hong Kong
- FAS : Chinese intelligence facilities

- Zone d'Intérêt : Les grandes oreilles américaines à Paris

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