20/12/2011

Le Ministre, les drones et la Commission Défense

Le projet de drone MALE, visant notamment au remplacement du drone SIDM (Harfang) et proposé par le ministre de la Défense Gérard Longuet, s'est vu vivement contesté par la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des forces armées du Sénat.

Heron TP

L'objectif du programme est d'épauler, voire de remplacer le drone Harfang, issu du programme SIDM initié en 2003. Le Harfang est un drone produit par IAI sous la dénomination Heron Eagle 1, modifié par EADS aux standards français dans le cadre du programme SIDM. Cet appareil avait été livré tardivement à la France, avant un déploiement sur le théâtre afghan en 2009. Il avait déjà été souligné que le Harfang ne pouvait pas emporter d'armement, n'évoluerait pas à plus de 7 000m d'altitude et que la version Eagle 1 sélectionnée ne lui conférait qu'un moteur à piston assez peu véloce.

Le nouveau programme de drone MALE vise donc à doter les forces françaises d'un drone aux capacités supérieures à celles du Harfang, dans un contexte opérationnel tendu, entre vieillissement des matériels et intensité des missions de reconnaissance en OPEX. Les options étudiées par le ministère de la Défense se centraient donc logiquement sur un drone MALE de type "lourd", capable d'emporter une charge utile (capteurs, armements) plus importante et d'évoluer à une altitude supérieure (~10 000m), tout en conservant une autonomie nominale d'au moins 12 heures.

L'option privilégiée par le ministre consiste en l'achat par la France de drones israéliens Heron TP dans le cadre d'un partenariat entre Dassault et IAI, alors que la Commission a pour sa part fait savoir qu'elle favorisait une option américaine par l'achat de drones MQ-9 Reaper à General Atomics. Sur le papier, les deux appareils avancent des spécifications comparables, avec une altitude de vol maximale supérieure à 10 000m, une capacité d'emport permettant l'emploi de capteurs optroniques et de missiles guidés, avec une autonomie en vol supérieure à celle du Harfang. Les deux constructeurs présentent des caractéristiques variables, en matière de charge utile maximum et surtout d'autonomie, deux paramètres qui varient fortement en fonction des configurations sélectionnées. Il apparaît donc difficile de comparer les performances du Reaper et du Heron TP à partir de seuls documents commerciaux.

MQ-9 Reaper

Au-delà des chiffres, le ministre de la Défense avance l'agument d'une plus grande interopérabilité des liaisons entre le Heron TP et les autres systèmes français, ainsi que l'expérience qu'apporterait un tel programme à Dassault en matière de drones. La Commission affirme pour sa part que la France a déjà connu une expérience difficile avec IAI sur le programme Harfang et que le Reaper disposerait d'un aguerrissement et de qualités techniques supérieures, voire "exceptionnelles". (cf vidéo Sénat 29/11)

Afin de pousser l'application de sa proposition, la Commission défense a fait voter un amendement visant à retirer 109 millions d'euros au programme, le réduisant à un montant global de 208 millions d'Euros, une somme permettant l'achat sur étagère de 7 drones Reaper et 2 stations au sol à General Atomics, mais insuffisante pour permettre la réalisation du programme conjoint entre IAI et Dassault, préconisé par le Ministre. Les 109 millions d'euros seraient redistribués pour 29 millions dans un contrat de maintenance (MCO) du drone Harfang et pour 80 millions dans un Plan d'Études Amont (PEA) à destination de Dassault pour un drone de "troisième génération" dans le cadre d'un partenariat franco-britannique. Début décembre, le ministre de la Défense Gérard Longuet a pour sa part réitéré sa volonté de maintenir le programme Heron TP, contre l'avis de la Commission.

Ce bras de fer entre le ministre et la Commission recèle plusieurs éléments intéressants, le premier étant l'opposition quasi-unanime de la Commission de la Défense à une décision du ministre de la Défense. Cette commission qui dispose de pouvoirs d'enquête et de décision limités s'est rarement opposée à un ministre, privilégiant le plus souvent la concertation et le consensus. Il est toutefois difficile de distinguer si les arguments présentés de part et d'autres font l'objet d'une réelle objectivité technique concernant les qualités des appareils retenus. D'autre part, l'enveloppe de 80 millions d'euros réservée par la Commission à Dassault vise clairement à agir comme une compensation et à pousser le programme de drone Telemos lancé avec BAE Systems et dont on ne sait encore que peu de choses. Si la France et le Royaume-Uni se sont accordés en novembre 2010 sur un projet de drone MALE, il ne s'agit que d'une étude et aucune maîtrise d'œuvre n'a été confiée officiellement à Dassault-BAE pour son développement. Enfin, on peut observer que les sénateurs considèrent la capacité des drones à emporter de l'armement comme un pré-requis technique, ce qui leur apparaît comme évident en 2011 dans le contexte des récentes opérations extérieures (Afghanistan, Libye, Côte d'Ivoire), mais qui l'était moins en 2003 lorsque le programme SIDM (MALE) fut lancé.

Sur ce sujet: Actu Défense, Le Point, Challenges, Le Monde (Tribune de la Commission du 9 décembre)

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