08/12/2013

Les grandes oreilles américaines à Paris

Les services de renseignement ont toujours profité des ambassades de leurs pays pour accueillir des agents, coordonner des opérations clandestines ou mettre en œuvre des systèmes d'écoute. Ces pratiques sont communes à tous les pays ayant des représentations diplomatiques et se sont notamment développées au cours de la guerre froide. Dans ce domaine, on pense aujourd'hui à l'action de services tels que ceux de la Russie ou de la Chine, bien implantés en Europe. La France n'est pas non plus étrangère à ce type de pratiques, en particulier dans des zones de crise, comme l'Irak.

Récemment, plusieurs médias européens ont eu accès à des documents classifiés fournis par Edward Snowden et ont pu confirmer la présence de stations d'interception clandestines américaines en Europe. Une de ces stations se trouverait à Paris.

Le SCS à Paris

Le Special Collection Service (SCS), dont l'existence est connue du public depuis les années 90, est un service opéré conjointement par la CIA et la NSA afin de mener des interceptions de signaux et recueillir clandestinement du renseignement en dehors des États-Unis. Le SCS met en œuvre des moyens d'interception COMINT et SIGINT, principalement depuis les ambassades américaines, mais ses agents peuvent aussi utiliser des capteurs dissimulés (piégeage audio et vidéo) lors de missions clandestines. Le SCS dispose également d'accords avec des services de renseignement alliés, tels que le GCHQ britannique ou le CSEC canadien.

80 sites du SCS dans le monde

Un document classifié du SCS, révélé par Der Spiegel, donne une liste de 80 sites du SCS dans plusieurs capitales en Europe et dans le monde, dont un site à Paris. Le document indique que ce site abrite une équipe du SCS (staffed location) et donc qu'il ne s'agit pas d'une station d'interception automatisée, gérée à distance. Cette station parisienne du SCS pourrait appartenir à la catégorie STATEROOM, nom de code qui désigne les sites clandestins SIGINT dissimulés à l'intérieur de bâtiments diplomatiques, le plus souvent des ambassades américaines.


À Paris, l'ambassade des Etats-Unis, construite dans les années 30, se trouve avenue Gabriel, à l'angle Nord-Ouest de la place de la Concorde.

Ambassade des Etats-Unis, 2 avenue Gabriel, Paris
Comme l'indiquent les travaux du journaliste Duncan Campbell, des équipes du Spiegel et de L'Espresso, des stations d'interceptions du SCS ont été dissimulées dans plusieurs ambassades américaines à l'intérieur d'abris situés sur les toits. Ces abris reprennent l'aspect général des bâtiments qu'ils surmontent, mais sont constitués de panneaux assemblés, dont certains sont réalisés dans un matériau diélectrique qui permet aux signaux électromagnétiques de les traverser tout en dissimulant l'intérieur de l'abri.

Evolution du toit de l'ambassade américaine entre 2004 et 2012
Entre 2004 et 2005, des travaux ont eu lieu sur le toit de l'ambassade des États-Unis à Paris pour installer un abri qui surplombe aujourd'hui l'aile ouest du bâtiment, ce qu'illustrent les photos satellite prises sur la période.

Toit de l'ambassade vu depuis la place de la Concorde (2013)
Depuis l'avenue Gabriel et la place de la Concorde, les passants peuvent observer les différents panneaux de cet abri, sur lesquels sont peintes des fenêtres en trompe-l'œil. La forme générale de l'abri, son assemblage et le soin apporté à reproduire l'aspect extérieur de l'ambassade sont très similaires aux installations observées sur d'autres ambassades américaines, notamment à Berlin, Madrid ou Stockholm.

Dispositifs d'interception Einstein et Castanet du SCS

Der Spiegel a également rendu public des documents donnant des indications sur les dispositifs d'interception mis en œuvre par le SCS dans les ambassades américaines. Ceux-ci indiquent que les stations du SCS sont en mesure d'intercepter les signaux dans les gammes de fréquences correspondant à la téléphonie mobile, aux transmissions HF et aux communications satellite. Ces capacités d'interception permettraient également au SCS d'assurer la géolocalisation des terminaux. D'autre part, le SCS pourrait également recourir à des IMSI catchers pour simuler de fausses antennes-relais et intercepter des communications.

Points d'intérêt autour de l'ambassade américaine à Paris
Une station d'interception du SCS au sein de l'ambassade des Etats-Unis serait idéalement située pour intercepter les communications des lieux de pouvoir parisiens, à seulement 350m du palais de l'Elysée, 450m du Ministère de l'Intérieur, 600m du Ministère de la Justice, 700m du Ministère des Affaires Etrangères et de l'Assemblée Nationale, et 950m du Ministère de la Défense. On trouve également dans un rayon d'un kilomètre plusieurs ambassades et des entreprises stratégiques.

Si les communications des ministères sont censées être bien sécurisées, ce n'est pas toujours le cas des communications des fonctionnaires et employés qui circulent à proximité, en profitant des nombreuses antennes relais du secteur.

Les récentes révélations sur les capacités du SCS en Europe sont un bon rappel de la nécessaire prudence à exercer envers les interceptions clandestines menées par de nombreux États depuis leurs ambassades.

À lire sur ce sujet :
Top Level Telecommunications, NSA's global interception network, 05/12/2013
Duncan Campbell, Embassy spy centre network

How the NSA targets ItalyL'Espresso, 05/12/2013
The NSA's secret spy hub in Berlin, Der Spiegel, 27/10/2013
Espionnage : des toits des ambassades aux chambres des hôtels de luxe, Le Figaro, 02/07/2013

9 commentaires:

  1. merci pour cet article et votre travail sur de précédents articles de fond.

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  2. Cela me fait également penser que les États Unis ont un consulat à Marseille. Je me suis toujours demandé pourquoi. La proximité des attérages de fibres qui relient l'Europe avec l'Asie et l'Orient pourrait jouer.

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    1. Oui, enfin, je pense que beaucoup de pays ont des consulats à Marseille, comme dans pas mal de grosses villes de province, dans pas mal de pays. Ainsi la France a un consulat à Édimbourg, à Valence en Espagne... Leur mission est notamment administrative, je crois. Administrer et aider la communauté des compatriotes, je crois... Entre autres. Bref, pas seulement de l'espionnage.

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  3. Un grand nombre de services de renseignements intercepte les signaux radioélectriques disposant de moyens d'interception COMINT et SIGINT. Ce n'est pas une nouveauté !!

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  4. Question : un permis de construire a-t-il été demandé pour ces travaux ? Il y a modification de l'aspect extérieur de l'immeuble, donc permis obligatoire. A moins que le statut d'ambassade d'un pays étranger autorise une dérogation...

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    1. Bonne question. Pour cet aménagement spécifique, je ne sais pas, mais l'ambassade avait obtenu en 2011 un permis de construire pour l'installation d'une annexe sur une parcelle attenante. On peut penser que l'ambassade a respecté la même procédure pour cet aménagement du toit.

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  5. Très bon article,
    Repris seulement aujourd'hui le 24/06/2015, par les médias.

    Il paraît évident que les services Français étaient au courant, comment imaginer qu'ils n'aient pas enquêté sur un permis de travaux dans une ambassade à 350m, ou bien comment imaginer qu'ils n'aient pas aperçu la supercherie d'un simple trompe œil. Et malgré ça le projet de loi sur le renseignement(des Français) sera votée et adoptée par un gouvernement de gauche.... J'ai mal à ma France!

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  6. M'enfin parce que nous faisons de même dans bien des pays y compris aux EU ! Tout ceci est un jeu de miroirs aux alouettes en vue de jouer les trompe-l’œil afin de dissimuler des chausse-trappes et autres portes dérobées pour enfumer le citoyen...

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