02/06/2013

Le printemps parlementaire du renseignement français (2)

Le rapport d'information sur l'évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement

Le rapport public de cette mission d'information est sans aucun doute le plus intéressant et le plus complet publié sur les questions de renseignement au cours de ce printemps parlementaire 2013. Il tente avant tout de définir la nature du contrôle parlementaire qui peut s'appliquer aux services de renseignement, mais tend à dépasser ce seul cadre et établit des orientations pour une réforme des services de renseignement.

Instaurer un contrôle du renseignement

En premier lieu, la mission établit trois niveaux de contrôle du renseignement : un contrôle interne du Gouvernement sur l'efficacité des services et de chaque chef de service sur sur son administration; un contrôle externe de légalité et de proportionnalité qui doit contrôler le respect de la loi par les services; et un contrôle externe parlementaire, visant à surveiller l'utilisation des services de renseignement par l'exécutif et non à contrôler directement les services de renseignement.



Ces trois niveaux de surveillance, tels que définis par la mission, suscitent un certain nombre d'interrogations quant à l'exhaustivité et à l'indépendance de ce contrôle du renseignement.

• Le contrôle interne des services serait renforcé par la création d'une Inspection des Services de Renseignement (ISR) structure composée d'inspecteurs issus des inspections internes à chaque service. L'ISR ne pourraît être saisie que par le Premier ministre, les ministres de tutelle des services ou le Coordonnateur National du Renseignement. Ainsi, la délégation parlementaire au renseignement (DPR) ne serait pas en mesure de la saisir et il n'est pas précisé si la Justice serait en droit de lui confier des enquêtes, à l'image de ce qui est possible pour l'IGPN.  S'il est compréhensible que l'exécutif et les directeurs de services soient seuls habilités à régler les questions opérationnelles les plus sensibles, on peut s'interroger sur la capacité du parlement à contrôler le bon usage des services par l'exécutif s'il a peu de regard sur les opérations en ne prenant pas part à leur audit.

• La mission d'information propose la création d'une Commission de Contrôle des Activités du Renseignement (CCAR) qui absorberait la CNCIS, conservant son pouvoir de contrôle sur les interceptions de communication, auquel s'ajouterait la charge de veiller à « la légalité des méthodes particulières de collecte de données et veillerait à ce qu'elles ne portent pas une atteinte disproportionnée à l'exercice des droits fondamentaux » et aux traités internationaux signés par la France. La CCAR serait composée de six membres, deux du Conseil d'État, deux issus de la Chambre des comptes et deux personnalités qualifiées (militaires ou fonctionnaires) désignées par le Premier ministre. La CCAR pourrait traiter les plaintes en provenance des citoyens, au même titre que la CNCIS peut vérifier l'existence d'une interception de sécurité non-autorisée sur demande d'un particulier. Le fait que la CCAR puisse être saisie par un citoyen, alors même que l'ISR ne le pourrait pas, semble indiquer que ses pouvoirs d'enquête seraient restreints aux dispositif techniques de surveillance.

Si les « méthodes particulières » comprennent sans doute les balises GPS utilisées par les services dans leurs missions de surveillance, la CCAR sera-t-elle en mesure de contrôler d'autres actions spécifiques du renseignement telles que les filatures, l'infiltration ou la déception, ou encore les interrogatoires de renseignement ? En tant que garante du respect par la France de ses accord internationaux, comment la CCAR pourrait-elle contrôler les opérations clandestines de la DGSE ?

• Concernant l'action du Parlement, la mission d'information souligne avec raison qu'un simple suivi des services de renseignement tel que celui de l'actuelle délégation parlementaire au renseignement est insuffisant et qu'un véritable contrôle est nécessaire. D'autre part, la mission confirme que les parlementaires sont aptes à accéder à des informations relevant du secret de la défense nationale, comme c'est le cas au sein de plusieurs commissions. Les membres de la mission reconnaissent la « vacuité des rapports publics de la délégation parlementaire au renseignement », un constat formulé depuis plusieurs années par Zone d'Intérêt...

La mission d'information recommande que la DPR ne soit plus limitée dans son pouvoir d'audition, sans liste limitative, ni accord préalable des directeur de services. Cette condition est en effet un pré-requis pour assurer la qualité du contrôle de la DPR, mais implique que les parlementaires aient une bonne connaissance des chaînes hiérarchiques et des effectifs de chaque service, afin de sélectionner les interlocuteurs pertinents pour chaque audition. D'autre part, la DPR absorberait la Commission de vérification des fonds spéciaux (CVFS), afin d'affiner l'évaluation par la délégation de l'usage des fonds publics par les services de renseignement.

Si le Parlement doit en substance « contrôler l'utilisation des services par l'exécutif », il pourrait être délicat pour des parlementaires d'émettre des réprimandes à l'égard d'un exécutif toujours en fonction, ce qui pourrait entraîner un retard dans la correction d'éventuelles dérives. D'autre part, si la DPR devait fournir un avis consultatif sur la nomination des chefs des services de renseignement, elle pourrait se trouver en difficulté lorsqu'il s'agirait de réprouver les agissements d'une direction qu'elle aurait elle-même contribué à mettre en place. De surcroît, la mission d'information ne souhaite pas que la nomination des chefs des services de renseignement fasse l'objet d'une procédure publique devant les commissions parlementaires, alors qu'une telle procédure pourrait favoriser le dialogue entre les chefs de service et la représentation nationale, tout en permettant au grand public de prendre connaissance de leurs analyses.

Réorganiser la communauté du renseignement

La mission parlementaire s'est attachée à proposer une nouvelle configuration de la direction et de la coordination des services de renseignement, en reprenant les structures établies en 2008. Plusieurs propositions des parlementaires, en particulier la création d'un Secrétariat général du renseignement et d'une Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), sont fortement inspirées par les propositions de Jean-Jacques Urvoas et Floran Vadillo réunies dans l'essai Réformer les services de renseignement français, publié en avril 2011 par la fondation Jean Jaurès.

Selon les recommandations de la mission, le conseil national du renseignement, instauré en 2008, serait réduit afin de gagner en efficacité. La présence des ministres de la Défense, de l'Intérieur, de l'Economie, du Budget et des Affaires étrangères, ainsi que du Premier ministre, ne serait plus obligatoire à chaque fois qu'il serait convoqué par le Président de la République. Le conseil ne rassemblerait plus que les directeurs des service de renseignement autour du Président, avec la possibilité de convoquer des ministres et hauts fonctionnaires concernés par les thématiques abordées.

Une nouvelle structure, le Secrétariat général du renseignement, servant d'interface administrative entres les services et le Premier ministre, serait chargé de toutes les missions liées au renseignement (groupes de travail, coordination de l'action des services, retours d'expériences). Ce Secrétariat serait placé sous la direction du Coordonnateur national du renseignement, avec l'appui de personnels qui pourraient être issus du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Le Coordonnateur se verrait conférer un pouvoir d'arbitrage budgétaire, afin de renforcer son autorité sur la communauté du renseignement.

Ce nouveau Secrétariat peut être comparé au Bureau du Directeur national du renseignement (Office of the Director of National Intelligence - ODNI) créé en 2004 aux Etats-Unis et dirigé par le DNI (Director of National Intelligence), dont est inspiré le poste de Coordonnateur national du renseignement (CNR), son homologue français. Bien que doté d'un staff conséquent et d'une capacité à émettre des directives, le DNI américain a rencontré des difficultés à renforcer la coordination entre les services et à faire appliquer ses orientations par la communauté du renseignement. D'autre part, le statut du DNI ne le place pas dans une réelle position d'autorité, autrement que réglementaire, face aux directeurs des grands services de renseignement qui sont en mesure de faire peser leurs arguments directement auprès du Président. Certaines orientations du DNI visant à faire progresser le partage du renseignement et à introduire de nouvelles pratiques se sont heurtées au conservatisme des directeurs de services, entraînant une certaine instabilité de ce poste et limitant le rôle fédérateur que devait avoir cette institution. Le Coordonnateur national du renseignement, appuyé par un Secrétariat général du renseignement et doté d'un champ d'action élargi pourrait être confronté aux mêmes difficultés que le DNI américain, en particulier s'il n'est pas en mesure d'émettre des directives contraignantes et s'il ne fait pas l'objet d'un soutien actif de l'exécutif pour appuyer ses orientations.

La communauté du renseignement serait organisée en trois « cercles » définissant en particulier le niveau d'accès aux moyens spéciaux alloués aux services de renseignement.

Les trois cercles de la communauté du renseignement

• Le premier cercle serait constitué des quatre grands services de renseignement que sont la DGSE, la DCRI, la DRM et la DPSD.
• Le deuxième cercle comprendrait TRACFIN, la DNRED, la SDIG et la Gendarmerie nationale.
• Le troisième cercle regrouperait le SIRASCO (Service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée de la direction centrale de la police judiciaire), le bureau pénitentiaire, l'ANSSI. D'autres services pourraient s'ajouter à ce troisième cercle, en particulier le commandement des opérations spéciales (COS), la direction de la prospective du Quai d'Orsay et la Direction des affaires stratégiques du ministère de la Défense (sic).

Cette nouvelle organisation de la communauté du renseignement pose la question de sa hiérarchisation. S'il est sage de chercher à contrôler le niveau d'accès aux moyens spéciaux du renseignement de chacun des services, en particulier ceux qui portent atteinte aux libertés individuelles, cette organisation en « cercles » pourrait renforcer une hiérarchie implicite entre les services. L'accès à des moyens techniques ou à des bases de données non-spécifiques (sources ouvertes) pourrait se trouver conditionné par le cercle d'appartenance du service, dans une forme de hiérarchie concurrentielle. Dans les pays anglo-saxons, l'organisation des services en communauté de partenaires du renseignement, sans hiérarchie officielle, vise justement à éviter une marginalisation des petits services.

Au sein de la Défense, cette organisation nécessite de s'assurer que les unités chargées du renseignement disposent d'un accès suffisant aux moyens techniques et aux données partagées par la communauté, du fait de leur intégration à celle-ci par centralisation - par exemple à travers la BRENS puis la DRM - et non directement au niveau du régiment. L'accès à la communauté du renseignement du principal organe de prospective stratégique du ministère de la Défense, la Délégation aux affaires stratégiques (DAS) - désignée dans le rapport comme « direction des Affaires stratégiques » - apparaît comme une évidence, notamment en raison de ses contacts privilégiés avec la DGSE.

Au cœur du rapport de la mission d'information, on trouve un véritable travail de réhabilitation de la Sous-direction à l'information générale (SDIG), avec une critique en règle de la création de la DCRI en 2008, conduite au profit de la DST et au détriment des RG. La mission souligne en particulier la vision infondée selon laquelle la DCRI traiterait majoritairement du renseignement issu de « milieu fermé » et très peu de renseignement de sources ouvertes, ce qui justifierait son cloisonnement, en particulier au détriment de la SDIG. D'autre part, la SDIG ne bénéficierait pas des moyens (informatique, logistique, véhicules), ni de toutes les données nécessaires à l'accomplissement de ses missions, en raison d'un déséquilibre des attributions au profit de la DCRI. La part importante du rapport consacrée à saluer l'utilité de la SDIG peut être reliée à l'affaire Merah, et à la véritable joute médiatique qui avait opposé les tenants d'une « culture RG » à leurs collègues issus de la DST.

Dans le domaine du renseignement intérieur, la mission d'information appelle à un effort sur le « renseignement de proximité » et au renforcement des moyens de la SDIG. D'autre part, une Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) serait créée en absorbant et en réformant la DCRI.

La DGSI supplanterait la DCRI...
(logo non officiel)
La DGSI n'intégrerait pas la SDIG mais renforcerait sa collaboration avec elle. Les chefs de SDIG se verraient élevés au rang de directeurs départementaux du renseignement de proximité (DDRP), afin de renforcer leur autorité et leurs prérogatives. Chaque préfet de région serait appuyé par un préfet délégué à la sécurité, chargé d'une cellule régionale de coordination des activités de renseignement, réunissant un délégué de chaque département. La DGSI serait amenée à diversifier son recrutement et à intégrer des profils de spécialistes à des postes pérennes, afin de remédier à l'emploi par la DCRI de 300 contractuels au statut précaire.

Concernant le ministère de la Défense, la mission souligne que la DRM, dotée de 1 619 personnels dédiés et pouvant solliciter jusqu'à 16 000 militaires dans les régiments, souffre d'un trop fort turn-over de ses spécialistes. Le système de recrutement en cours au sein de la DRM favorise des carrières courtes, dépassant rarement six ans. Cette situation entraîne des difficultés à conserver des experts « senior » dans le service. La mission recommande de doter la DRM d'une autonomie dans sa sélection RH, afin de ne plus déprendre des directions RH de chacune des armées et de pouvoir ainsi mieux sélectionner les profils qui l'intéressent. D'autre part la DRM exercerait une tutelle sur l'ensemble des personnels des centres de renseignement des armés (CERT, CRmar, CRA) pour favoriser la coordination et la centralisation du renseignement. Le Centre national de Ciblage (CNC) de Creil serait rattaché à la DRM.

La DGSE ne fait pas l'objet de recommandations majeures de la mission parlementaire, bien que celle-ci se soit interrogée sur un remplacement du Service Action (SA) par l'attribution de nouvelles mission au COS qui aurait agi ponctuellement en appui de la DGSE. Toutefois, la mission n'a pas privilégié cette option, compte tenu de la nature clandestine du Service Action qui n'est pas compatible avec le statut du COS. Le maintien du SA semble correspondre aux besoins de la DGSE et peut être mis en perspective avec les difficultés rencontrées outre-Atlantique par la CIA, qui ayant réduit drastiquement son service d'action clandestine (NCS) dans les années 90, a été contrainte de recourir à des sociétés militaires privées et et au SOCOM dans un rapport de force qui lui était défavorable. En ce sens, une réflexion sur le rôle du COS dans la communauté du renseignement serait utile, en particulier dans le contexte des conflits asymétriques où la limite entre opérations spéciales et missions de renseignement est moins évidente. Comme l'exemple américain l'illustre, s'ils ne sont pas clarifiés, les rapports entre la DGSE et le COS pourraient évoluer du partenariat à la concurrence au sujet de leurs prérogatives de renseignement.

Au sein des directions, la mission recommande une meilleure synergie entre le Quai d'Orsay et la DGSE, en favorisant des carrières dans les deux institutions. Un passage à la DGSE deviendrait « normal » pour un diplomate et les agents de la DGSE auraient un accès facilité au corps diplomatique.

Les moyens d'imagerie du renseignement français seraient centralisés au sein d'une agence du renseignement géospatial, qui produirait l'ensemble du renseignement d'origine image (ROIM) à destination de la DGSE, de la DCRI et de la DRM, ainsi que pour l'EMA et le COS. Cette nouvelle agence serait installée dans les locaux du CF3I (Centre de Formation et d’Interprétation Interarmées de l’Imagerie), de l'EGI (Établissement Géographique Interarmées) et du CNC, tous présents sur la BA 110 de Creil. L'agence regrouperait environ 1 100 personnels chargés du pilotage du recueil du renseignement, de sa production, de la formation interne et d'une collaboration avec la DGA dans la définition des futurs programmes d'observation militaire. À terme, la mission d'information envisage le regroupement des moyens de renseignement d'origine électromagnétique (ROEM) au sein de cette même agence. Cette nouvelle étape de centralisation pourrait se révéler complexe dans la coordination des différentes stations (Transmissions, Guerre Électronique) et plateformes d'interception embarquées (Air, Marine).

Régulariser les moyens de surveillance

En matière de surveillance et de fichage, l'attention de la mission parlementaire se concentre sur la légalisation des moyens à disposition des services, en particulier afin d'éviter un condamnation de la France par la Cour Européenne des Droits de l'Homme. Les parlementaires ne formulent pas de recommandation majeure en vue de renforcer le contrôle des fichiers ou de renforcer le respect des libertés individuelles.

La mission recommande l'élaboration d'une loi relative aux activités de renseignement autorisant des « moyens spéciaux » : la possibilité pour les agents d'entrer sans autorisation dans une habitation ou un local en vue d'une sonorisation (pose de micros), de poser une balise GPS sur un véhicule surveillé, le recours à des matériels d'interception GSM. D'autre part, cette loi devrait indiquer avec précision les conditions de ces opérations et garantir une atteinte la plus faible possible aux droits et libertés. Cette loi vise à régulariser des procédures de surveillance déjà utilisées par les services hors du cadre légal et il faut espérer que le législateur sache élaborer un texte qui donne également des garanties substantielles aux citoyens.

Le rapport dresse une liste des fichiers à disposition des services de renseignement :
- Le fichier relatif à la centralisation du renseignement intérieur pour la sécurité du territoire et des intérêts nationaux (CRISTINA) exploité par la DCRI
- Au sein de la DGSE, deux fichiers aux titres liminaires : le « Fichier de la DGSE » et le « Fichier du personnel de la DGSE »
- Un « fichier des personnes étrangères » exploité par la DRM

Cette liste ne tient pas compte des fichiers dont pourrait disposer la DPSD, aucune information n'ayant été publiée à leur sujet. La mission parlementaire souligne le peu d'informations à sa disposition concernant les fichiers tenus par les services de renseignement, mais de manière surprenante, elle ne formule pas de recommandation en vue d'obtenir des précisions.

Des fichiers administratifs peuvent également être consultés par la police nationale et la gendarmerie, dans un cadre légal très large, centré autour de la sûreté de l'Etat et de la lutte contre le terrorisme :
- le fichier national des immatriculations (FNI)
- le système national de gestion du permis de conduire (SI-FAETON)
- le système de gestion des cartes nationales d’identité (CNI)
- le système de gestion des passeports (TES)
- le système informatisé de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF 2)
- les données relatives aux personnes étrangères dont l’entrée sur le territoire a été refusée à l’occasion du franchissement de la frontière (FNAD, fichier des non admis) et à celles dont la délivrance d’un visa a été refusée (VISABIO)

Toutefois, la DCRI et la DGGSE ne peuvent accéder à ces données que dans le cadre d'affaire liées à la prévention du terrorisme. Les parlementaires recommandent que le droit d'accès de ces deux services de renseignement soit étendu à l'ensemble de leurs compétences et plus seulement à la lutte contre le terrorisme. Compte tenu de la masse d'informations présentes dans ces fichiers qui concernent l'ensemble des personnes résidant sur le territoire français, la mission d'information aurait pu proposer l'étude d'un cadre réglementaire réservant leur accès aux champs de compétences les plus critiques, tels que la contre-ingérence et la lutte contre le terrorisme.

La question de la légitimité de l'accès aux fichiers se pose également pour les données collectées par les transporteurs aériens sur leurs passagers (API et PNR). La mission d'information reprend à son compte les recommandations de la DPR, de l'inspecteur général et du contrôleur général de la police nationale, en proposant la mise en place d'une plateforme permettant l'interconnexion du FPR (Fichier des Personnes Recherchées), avec les fichiers API et PNR de la DGAC. Toutefois les parlementaires n'indiquent pas la forme que prendra l'interconnexion des fichiers : les agents seront-ils informés par des alertes lorsque qu'une personne recherchée est inscrite dans le fichier API ou PNR ? Auront-ils un accès libre à toutes les données de ces fichiers, y compris des voyageurs n'étant pas inscrits dans le FPR et donc ne relevant d'aucune affaire justifiant leur surveillance ?

D'autre part, il est à noter que le FPR ne concerne pas que les suspects des affaires de terrorisme qui peuvent faire l'objet d'une fiche « S » (Sûreté de l'Etat), mais également les mineurs fugueurs (Fiches « M »), les débiteurs envers le Trésor (Fiches « T ») ou encore les individus intéressant la police générale des étrangers (Fiches « E »). L'ensemble des personnes inscrites au FPR devraient-elles faire l'objet du même niveau de surveillance que les suspects d'activités terroristes ?

Le fichier PNR (Passenger Name Record) qui fait l'objet d'une recommandation en vue de son exploitation automatisée par les services, contient en plus de l'identité de chaque voyageur, ses coordonnées bancaires, ainsi que le nom et l'adresse de ses hôtes à destination. Les fichiers API et PNR constituent donc de formidables outils de surveillance des déplacements, aussi bien ceux de terroristes potentiels que d'honnêtes citoyens. Il faut rappeler que les services de renseignement ne sont pas seulement chargés de la lutte contre le terrorisme et qu'ils sont susceptibles d'exploiter les données de ces fichiers pour d'autres attributions, telles que la « sécurité économique ». D'autre part, les informations voyageurs ont également une valeur pécuniaire pour certaines entreprises de sécurité privée ou d'intelligence économique, capables d'en faire usage dans leurs propres opérations de surveillance qui concernent le plus souvent des dirigeants d'entreprises.

Des moyens techniques de surveillance déjà exploités par les services ont retenu l'attention des parlementaires, en particulier l'interception des communications GSM et des données informatiques. La mission souhaite autoriser l'utilisation d'appareil portatifs (valise d'interception ou IMSI catchers) qui simulent une fausse antenne-relais (spoofing) pour capter les communications mobiles avant de les relayer vers une véritable antenne. Ce type de procédé risque toutefois de voir l'ensemble des communications d'une zone, voire d'un quartier entier, interceptées par les services, en plus du mobile cible. Ce risque a été noté par la mission qui souhaite encadrer cette pratique et la soumettre au contrôle d'une autorité extérieure. Cette autorité devra être vigilante à la possibilité de procéder à de véritables « écoutes de voisinage » en profitant d'une autorisation d'interception pour surveiller les communications environnantes.

Promouvoir une culture du renseignement

La mission d'information conclut son rapport en appelant à la diffusion de la culture du renseignement, le définissant comme un enjeu décisif. Elle apporte des informations sur l'activité de l'Académie du renseignement, qui a très peu communiqué auprès du public depuis sa création en 2010. L'Académie accueille tous les six mois une promotion de 80 jeunes cadres des services de renseignement, pour un total de 700 stagiaires depuis l'automne 2010. Des sessions thématiques y sont organisées et un cycle supérieur a été créé, destiné à une quinzaine d'agents « à haut potentiel », avec une formation courte de niveau élevé. L'Académie a toutefois une vision cloisonnée de la diffusion de la culture du renseignement, puisqu'elle réserve ses actions de sensibilisation à l'ENA, à l'ENSP et à l'ENSM. Les parlementaires de la mission déplorent d'ailleurs cette conception trop restrictive et souligne un manque d'ambition de l'Académie dans  ce domaine.

La création d'un centre français de recherche stratégique, sous l'égide de l'Académie du renseignement, est recommandée par la mission parlementaire pour une réelle diffusion de la culture du renseignement, et la production d'une réflexion prospective. Cette initiative pourrait se révéler très intéressante, mais un tel centre de recherche stratégique pourrait se trouver en concurrence avec d'autres institutions du même type, telles que l'IRSEM (Institut de Recherche Stratégique de l'Ecole Militaire) ou la DAS, dans le domaine prospectif.

L'appel au développement d'études du renseignement (intelligence studies) est un point positif parmi les recommandations de la mission. On peut toutefois regretter l'absence de propositions plus concrètes, comme l'accueil de chercheurs au sein des services ou la création au sein des universités de filières de formation et de recherche liées aux études du renseignement.

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