31/05/2013

Le printemps parlementaire du renseignement français (1)

Plusieurs travaux parlementaires liés au renseignement ont été publiés au cours du printemps 2013, marquant le terme de réflexions engagées mi-2012, en particulier suite à l'affaire Merah. On observe une forte articulation entre les travaux menées par les parlementaires en 2012 et 2013 sur les questions du renseignement, les différents rapports se complétant et se répondant, sans toujours le signaler explicitement. En effet, plusieurs suggestions esquissées dans le rapport de la délégation parlementaire au renseignement ou dans le LBDSN 2013 renvoient en filigrane aux conclusions de la commission parlementaire sur le cadre juridique applicable aux services de renseignement.

 


Zone d'Intérêt livre ici une analyse en deux partie des éléments notables liés au renseignement, contenus dans trois rapports publiés en avril et mai 2013 : Le rapport de la délégation parlementaire au renseignement pour l'année 2012, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale 2013 et le rapport d'information sur l'évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement.


Le rapport de la délégation parlementaire au renseignement pour l'année 2012

Depuis sa création fin 2007, la délégation parlementaire au renseignement a publié quatre rapports publics, dont la majorité ne contenaient que quelques pages et étaient vides de toute information pertinente pour le citoyen. Cette situation était très insatisfaisante en matière de transparence démocratique et les parlementaires membres de la délégation, contraints par le cadre restrictif de la loi, s'en sont plaints à plusieurs reprises.

En 2012, la délégation a manifestement souhaité étendre autant que possible le contenu du rapport parlementaire et souligner les lacunes du dispositif réglementaire auquel elle est soumise. Toutefois, les informations utiles aux citoyens pour comprendre le travail de la délégation et les enjeux liés au renseignement restent bien minces et peu détaillées.

Dans ce rapport, la délégation recommande de renforcer « sensiblement » les moyens de lutte contre le terrorisme et de meilleurs moyens pour suivre les déplacements de personnes par voie aérienne vers des destinations sensibles. Cette recommandation n'étant pas détaillée et suivie d'une page blanche, signe d'une censure du rapport original en raison « des impératifs du secret de la défense nationale », il faut consulter un autre rapport - celui du Ministère de l'Intérieur concernant l'Affaire Merah (octobre 2012) - pour saisir le possible contenu de cette proposition.

Dans leurs Réflexions et propositions, G. Desprats et J. Léonnet recommandaient de croiser les données du fichier des personnes recherchées (FPR) avec le fichier des données d'enregistrement de vols (API) et les données de réservation de vols (PNR). Le croisement (ou criblage) des données API avec le FPR est déjà possible pour la DCRI, en particulier lorsque les vols concernent une liste de 31 destinations « sensibles », qui n'est pas révélée au public mais sur laquelle figurerait notamment le Pakistan. La nouveauté serait d'ajouter un criblage des données du fichier PNR géré par la DGAC, permettant notamment d'accéder aux coordonnées bancaires de toute personne ayant acheté un billet d'avion et aux nom de ses correspondants (hôtes dans le pays d'arrivée). Il était également suggéré d'étendre cette surveillance aux vols à l'intérieur de l'espace européen, ce qui n'est pour l'instant pas autorisé.

Ce document donnait également une indication statistique intéressante, soulignant que le croisement du FPR avec les données de vole de la DGAC entraînerait une augmentation de 20 millions d'interrogations du fichier FPR par an, soit une hausse de 30% du niveau actuel. Cela indique donc que le fichier FPR serait consulté par la police nationale et les services habilités plus de 65 millions de fois par an. Le FPR contenait 406 849 fiches en novembre 2010, contre 280 679 fiches en août 2006, soit une hausse de 44.9% du nombre de personnes surveillées en 4 ans. En 2005, le FPR faisait l'objet de 39 millions de consultations, contre 65 millions consultations annuelles actuellement (+ 66%). Ce fichier a donc enregistré une très forte hausse du nombre des personnes surveillées et de son utilisation par les services, avec la CNIL pour seul garant de son fonctionnement...

 La délégation parlementaire formule également plusieurs recommandations sur le fonctionnement des services de renseignement, ce qu'elle n'avait pas fait par le passé, telles que la régularisation des missions de la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP), le renforcement des effectifs de la DCRI et la consolidation d'une capacité spatiale d'écoute électromagnétique. Enfin, la délégation rappelle son souhait de fusionner avec la commission de vérification des fonds spéciaux (CVFS).

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale 2013

Le Livre Blanc 2013 réaffirme le rôle crucial du renseignement comme contribuant au maintien de la souveraineté et de l'indépendance de la France, constituant une capacité critique pour permettre le déploiement des forces et sa place centrale dans la fonction connaissance et anticipation.

Dans le cadre de cette fonction, un effort doit être fait en faveur du renseignement intérieur, avec un renforcement de la DCRI en raison de son rôle dans la lutte contre le terrorisme. D'autre part, il faut veiller à maintenir le dispositif d'acquisition et de traitement du renseignement, notamment par la mutualisation des moyens techniques entre les services.

Là encore, les capacités spatiales de collecte du renseignement sont privilégiées, soulignant la possibilité d'un « partage européen des capacités », une allusion au programme MUSIS. Au-delà des satellites d'observation, le Livre Blanc appuie également la nécessité de renforcer les capacités spatiales d'interceptions des signaux, domaine dans lequel la coopération interalliés peut-être plus délicate. Les plateformes ISR aéroportées, par drones ou avions de reconnaissances, sont également citées comme indispensables à la fonction renseignement. De tels équipements se sont en effet illustrés dans les conflits récents et dans la lutte contre le terrorisme, malgré le retard de certaines acquisitions, par exemple en matière de boules optroniques.

 La nécessite de contrôler l'action des services de renseignement à travers le parlement est succinctement soulignée, le Livre Blanc appelant à une extension du rôle de la délégation parlementaire au renseignement, sans proposition sur les évolutions envisagées.

 L'exploitation des sources ouvertes (OSINT ou ROSO) qui ne fait toujours pas l'objet d'une politique ambitieuse et cohérente, est le sujet d'une recommandation en vue de disposer « d'outils spécifiques d'analyse des sources multimédias » et de partage des sources ouvertes, au niveau ministériel et interministériel. Compte tenu de l'ampleur des moyens technologiques nécessaires à un recueil exhaustif et à une exploitation pertinente des sources ouvertes, et face à la pléthore de solutions commerciales proposées aux ministères, l'application de cette recommandation constituera un véritable défi pour la communauté du renseignement.

Point important, le conseil national du renseignement réuni depuis 2008 autour du Président de la République définira une stratégie nationale du renseignement « dont les grandes lignes seront rendues publiques ». Il faut espérer que l'exécutif saura élaborer un document public réellement informatif et qui ne cède pas à la surclassification, afin de ne pas répéter l'échec des premiers rapports publics de la délégation parlementaire au renseignement.

Un principe de mutualisation, cité juste après un principe d'économie, devrait amener les services de renseignement à mettre en commun « certains de leurs moyens techniques les plus performants » à disposition de l'ensemble des services engagés dans la sécurité nationale, sous la supervision du Coordonnateur national du renseignement. Ces moyens techniques qui ne sont pas énumérés, pourraient se rapporter aux moyens d'observation ou d'interception, auquel cas les autres « services engagés dans la sécurité nationale » pourraient user de ces moyens sans être forcément soumis aux mêmes dispositions réglementaires et de contrôle que les services de renseignement; ou bien, plus probablement, à des moyens informatiques de traitement et d'exploitation des données. Ce dispositif de mutualisation soulève donc des questions liées au contrôle démocratique des services de sécurité dans leur possible recours aux moyens techniques alloués aux services de renseignement, mais également la possibilité de voir à terme ces moyens techniques surchargés par des requêtes extérieures.

 Dans le cadre du modèle d'armée planifié pour l'horizon 2025, le renseignement est défini comme une capacité à développer en priorité, à travers un programme centré sur le renforcement des moyens techniques du renseignement, tels que les drones. Cette affirmation budgétaire est toutefois à mettre en perspective avec celles du Livre Blanc de 2008, dont plusieurs des programmes d'investissements du renseignement, qualifiés de « majeurs » ont été retardés ou reportés, comme l'a souligné la délégation parlementaire au renseignement.

À suivre : Le rapport d'information sur l'évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement

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