Le Conseil d’État a examiné le recours présenté
par trois associations contre un décret qui aurait autorisé la DGSE
à surveiller les communications internationales transitant par les
câbles sous-marins de télécommunications. L'obstacle du secret
défense et les dénégations du gouvernement laissent toutefois peu
de marge aux juges pour mettre au clair les conditions dans
lesquelles cette surveillance des communications a été autorisée à
partir de 2008.
Un décret réfuté par le gouvernement
Au cours de son audience du 6 octobre dernier, la
section du contentieux du Conseil d’État a examiné les conclusions
de la rapporteure publique sur la requête présentée par les
associations La Quadrature du Net, French Data Network et la
Fédération des fournisseurs d'accès à internet associatifs contre
le Premier ministre, contestant un décret qui aurait été pris en
avril 2008, sans faire l'objet d'une publication au journal officiel.
La rapporteure a ouvert son propos en soulignant avec humour que les
juges pourraient difficilement statuer, à moins d'être eux-mêmes
« autorisés à espionner le gouvernement », tant
l'objet jugé se révèle insaisissable.
Conseil d'Etat - cc Marco Garro, Flickr |
Le recours déposé par les associations se fonde
principalement sur un article de Vincent Jauvert publié dans L'Obs
en juillet 2015 et qui décrivait pour la première fois le dispositif de
surveillance des télécommunications mis en œuvre par la DGSE sur
les câbles sous-marins. Cet article précisait qu'un décret avait
été pris par le Premier ministre François Fillon en avril 2008, à
la demande du président Nicolas Sarkozy, afin d'autoriser cette
surveillance des communications internationales. Ce décret pris en
Conseil d’État aurait été couvert par le secret défense et
n'aurait pas été publié au journal officiel.
Aux yeux de la rapporteure publique, l'article de L'Obs
qui mentionne un décret non-publié « n'est pas rien »
et justifie que le recours des associations soit étudié
attentivement. Néanmoins, dans son mémoire déposé au Conseil
d’État, le ministre de la défense a réfuté qu'un tel décret
ait été édicté « antérieurement ou postérieurement »
à la loi sur la surveillance des communications internationales
votée en novembre 2015, niant ainsi l'existence d'un décret
non-publié pris en 2008. La rapporteure publique a estimé que cette
dénégation « n'était pas rien non plus » et a
invité les juges à accorder leur confiance à la parole du ministre
de la défense.
L'existence d'une surveillance des communications
internationales par la DGSE à partir de 2008 a été
reconnue comme probable, puisque celle-ci a justifié l'article L.
854-1 prévu dans le projet de loi renseignement, invalidé par
le Conseil constitutionnel
et dont une version modifiée a été réintroduite dans la
proposition de loi sur la surveillance des communications
internationales.
Comme l'a rappelé la rapporteure, les moyens à disposition du Conseil d’État pour faire la lumière sur l'existence d'un tel décret restent limités. Si un tel décret non-publié a bien été édicté, le Conseil d’État devrait solliciter une autorisation avant de pouvoir le consulter, du fait de sa protection par le secret défense. D'autre part, la jurisprudence est très mince concernant les pouvoirs dont disposerait le Conseil d’État pour vérifier l'existence d'un document officiel dont le gouvernement nierait l'existence. Il semble donc peu probable que le Conseil d’État puisse juger ce recours sur le fond, en apportant une réponse précise sur l'existence d'un décret non-publié autorisant la surveillance des communications internationales par la DGSE et sur sa conformité.
La rapporteure publique a conclu que les associations
n'ayant pas produit de preuves suffisantes pour contredire la
version du gouvernement, leur requête pourrait être considérée comme irrecevable. La décision du Conseil d’État
devrait être rendue au cours du mois d'octobre.
Une autorisation secrète de l'Exécutif pour
éviter un débat public
D'après le témoignage d'un ancien responsable de la
DGSE recueilli par Zone d'Intérêt, la surveillance des
communications internationales transitant par les câbles sous-marins
a bien été autorisée dès 2008 par le Premier ministre à la
demande du président de la République, sans que cette autorisation
ne soit formalisée dans un décret.